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15/11/2015

L'autre

Qu’es-tu toi pour me dire
La vanité des rencontres
La futilité des réunions
L’inanité de tout débat ?

J’y vois au contraire
Le propre de l’humain
La parole libre de l’être
Qui condense en un mot
Ce qui le met en joie
Le terrifie ou l’encourage

Seule, la créature s’étiole
Se réduit à elle-même
Et meurt d’absence

Ne te retire pas de toi-même
Tu y perdrais le meilleur
C’est-à-dire ce double
Que l’autre regarde
Avec concupiscence
Et que toi-même ignore

©  Loup Francart

14/11/2015

The lobster, film de Yorgos Lanthimos

Une histoire simple, mais insolite, une société où seules peuvent vivre normalement les couples. Les personnes seules sont aussitôt arrêtées et enfermées dans un hôtel. Elles doivent trouver un partenaire en 45 jours, sinon elles sont transformées en l'animal de leur choix. David débarque dans l’hôtel, arrêté par la police des mœurs parce que sa femme l’a quitté. Il amène avec lui son frère, un chien qui n’a pu trouver l’âme sœur dans le temps imparti. Cet homme stable qui s’inquiète au fur et à mesure que le temps passe, choisit le15-11-13 The-lobster.jpg homard comme animal au cas où il ne rencontrerait pas l’âme sœur. Il finit par s'échapper et il rejoint les Solitaires, un groupe de rebelles qui vit dans les bois. Cette autre société, sauvage et également inattendue, a inversé les règles : le flirt et les relations sexuelles sont interdits et passibles de savantes tortures. Mais il y rencontre l’amour et va tout faire pour revivre une vie normale, en couple, dans la ville, comme tout un chacun.

Ce film du grec Yorgos Lanthimos est surprenant, drôle, plein de mystérieuses péripéties : l’arrivée dans l’hôtel, la cérémonie d’accueil à la manière d’un conscrit, les réunions dans la salle avec la directrice, très proches des réunions commerciales standardisées du type Weight Watchers, la chasse à l’homme dans les bois avec un fusil à fléchettes. On a envie de rire, mais dans le même temps on s’interroge : tragique ou comique ? on ne sait.

Le film est une image de la société moderne où la publicité prime sur la vie réelle, dicte ses règles, enferme la personne dans un monde absurde, mou, duquel seuls quelques individus arrivent à s’affranchir. Le bonheur est un bonheur obligatoire, organisé, et les plus faibles sont prêts à tout pour y accéder. Ils maquillent leur personnalité pour ressembler à leur future compagne, ce que tente de faire David, sans succès. La fin est impressionnante, mais sans contours précis : pour rester avec celle qu’il aime, devenue aveugle par la méchanceté des solitaires, se crève-t-il ou non les yeux ? On ne sait.

13/11/2015

Le miroir 13

Mais s’imposa également sous mes yeux une troisième possibilité que je vécus simultanément aux deux autres, sans cependant les mélanger. La balle se dirigea vers mon double. J’ai même cru la voir dans la glace, rageusement mortelle. Elle le frappa au-dessous du genou, le faisant s’affaisser brutalement. Il s’accrocha au cou d’Artémise qui tenta de l’empêcher de tomber. Elle le maintint quelque temps serré contre elle, mais sa tête bascula de son épaule à l’un de ses seins, déchirant le bouton de son corsage, puis tout son corps s’affaissa. Elle ne put que le poser doucement à terre avant de le reprendre dans ses bras et de le tenir contre elle. Elle laissa jaillir quelques larmes, passant sa main sur son visage en une caresse intense pleine de compassion. Et tout à coup, je sentis son parfum, comme si j’étais à la place de mon double, serré contre sa poitrine. J’éprouvai également ses caresses et je ne pus m’empêcher de déposer un baiser sur cette chair offerte et m’enivrer de la vie qu’elle contenait. Oui, nous nous sommes retrouvés enlacés, liés l’un à l’autre comme nos doubles et progressivement nous-mêmes et nos doubles se sont rejoints et prirent la même attitude. Quelle était bonne Artémise, tendrement offerte, sans un mot, me regardant dans les yeux, la bouche légèrement entrouverte, aspirant au baiser réel. D’une légère inclinaison de la tête, elle me fit signe. Oui, je pouvais celer notre entente. Je me penchai vers elle et embrassai longuement cette bouche offerte, comme je l’avais vu faire quelques instants auparavant par mon double. Je pensai néanmoins à remettre dans ma poche le pistolet. Il n’eût pas été de bon aloi d’embrasser une femme un pistolet à la main pour confirmer un amour naissant. Artémise, comme à son habitude, ne perdait pas le nord. Elle me regarda, souriante et me dit :

– Quelle défaite. Ton double s’est bien moqué de nous. Tellement bien que le mien l’a imité. Ils nous ont devancés d’un commun accord en toute tranquillité. Ils ont été au-delà de nos espérances, allant jusqu’à jouer un meurtre pour nous faire comprendre ce qui nous motivait. Regarde, il n’a plus de blessure et il semble parfaitement valide. Danse un peu sur place que l’on voit comment il s’en sort.

J’esquissai quelques pas de danse qu’il imita à la perfection, mais accompagné d’un clin d’œil. Je me rapprochai à nouveau d’Artémise et baisai ce cou si tendre qui sentait un parfum de liberté. Libéré du poids du passé, je compris que l’avenir s’ouvrait devant nous, grand comme le ciel. Tournant le dos au piège, nous sortîmes tous les quatre, deux à deux, étroitement enlacés.

Le meurtre n’a pas eu lieu. Désormais nos doubles se comportèrent normalement, comme de simples images de notre consistance. Tout cela faisait peut-être partie de notre destin.

C’était finalement un bon double !

12/11/2015

Fenêtre

Une fenêtre, c’est une longue vue qui permet de regarder dans les deux sens.

– Quel temps fait-il ?

– Regarde par la fenêtre, disaient nos grands-mères.

L’enfant se précipitait, levait les yeux, c’était bleu ou gris et même, parfois, noir. Cela lui suffisait. Il savait comment s’habiller.

La fenêtre fonctionne également en sens inverse. On voit souvent les gens de la fenêtre d’en face regarder la fenêtre éclairée et suivre comme au cinéma la scène familiale ou intime. La fenêtre opposée, dans son halo de lumière devient le centre du monde parce qu’elle est l’œil d’un autre monde. L’information circule, sans tuyau, sans fil, sans commérages, en direct. C’est émoustillant !

Ainsi la fenêtre est une scène de théâtre à contempler dans les deux sens. L’extérieur semble defenêtre,frontière,séparation,intimité,société prime abord plutôt un lieu d’exercice masculin motivé par l’exercice professionnel, guerrier ou de loisirs de plein air. L’intérieur, à vocation plus féminine, est le lieu de l’intimité, de l’éducation et des arts. Mais est-ce à dire que l’homme de l’intérieur regarde vers l’extérieur et inversement pour la femme. Sûrement pas ! C’est beaucoup plus complexe que cela.

La fenêtre est une frontière entre l’espace social et l’espace privé et crée des règles d’échange entre les deux. L’oubli de ces règles crée la confusion des genres comme le repos du guerrier ou la détermination des amazones.

Peut-être, parce que la fenêtre est devenue spectacle, l’art en fait une photographie du réel que ce soit en littérature, en peinture, en musique même. A travers la fenêtre, le monde est contemplé et contemple, l’œil humain devient monde ou le monde se fait œil.

11/11/2015

Vide

Se dit d’un contenant qui ne contient rien…
Le rêve de l’astrophysicien, les jours de pluie
Qui est de définir le vide sans lui donner du plein
Et dans lequel le zéro ne peut être déduit

La quatrième dimension peut-elle être vide ?
Est-ce à dire qu’aucun événement n’y apparaît ?
Le temps s’en va et ne circule nul fluide
L’univers s’écroule et tout devient muet

L’espace peut-il sévir s’il ne peut être mesuré ?
Le vide peut-il être limité par un contenant ?
Même le mot rien ne peut le délimiter
L’imaginer c’est déjà lui donner un lieu accueillant

Alors Dieu serait-il vide et sans saveur
Ou serait-il l’ultime recours de l’imagination ?
Au fond le vide est-il un alibi contre la peur
Ou une huile pensante à manier avec précaution ?

©  Loup Francart

10/11/2015

Chine, toujours inattendue

https://www.youtube.com/watch?v=8oqPR5-GLuA


L'homme ne serait-il qu'une infime particule dans un monde en suspension ?

Et n'oubliez pas :

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09/11/2015

Le miroir 12

Simultanément, comme dans une autre vie et un autre monde, je contemplai un autre avenir. Je suivis la trajectoire de la balle qui se dirigea vers mon double de la partie droite du miroir. J’ai même cru la voir dans la glace, avançant lentement, sans possibilité d’en changer la destination. Elle le frappa à la poitrine. Il me regarda sans rien dire et s’affaissa doucement. Il ne semblait rien me reprocher. Son regard n’exprimait qu’une incompréhension, une détresse immense et un soudain manque d’air. Il s’accrocha au cou d’Artémise qui tenta de l’empêcher de tomber. Elle le maintint quelque temps serré contre elle, mais sa tête bascula de son épaule à l’un de ses seins, déchirant le bouton de son corsage. Le corps de mon double s’affaissa.

J’étais délivré. Je jubilais. J’avais vaincu mon double devenu adversaire. J’avais été le plus fort et plus rien ne s’opposerait à moi. Je m’apprêtai à me précipiter aux pieds d’Artémise pour lui demander sa main. Mais je la vis dans la glace penchée sur mon double, pleurant réellement devant son corps, ne me jetant pas un coup d’œil. Je fus saisi et en oubliai de regarder la vraie Artémise. Voilà maintenant que son double faisait de même que le mien. Il prenait son indépendance.

Artémise, la vraie, me donna un coup de coude :

– Qu’est-ce que vous attendez ? Tirez donc sur mon double, vous voyez bien qu’il fait la même chose !

Je n’y comprenais plus rien. Que faisaient ces doubles ? Etaient-ils réellement indépendants ? Je regardais Artémise qui continuait à me supplier de tirer. Je pointai une deuxième fois mon arme, visai et tirai. Son double s’écroula également. Je me tournai alors vers Artémise en disant :

– Ça y est, nous sommes libres !

Mais… Je n’en cru pas mes yeux. Artémise n’était plus là. Une seconde avant je l’entendais me dire de tirer et maintenant… Plus rien. J’étais seul tenant à la main le pistolet. Des passants s’approchèrent. Deux jeunes hommes musclés vinrent vers moi, me prirent l’arme des mains et me tinrent serré contre eux. Ils demandèrent que quelqu’un appelle la police. Deux minutes plus tard, une voiture pleine de policiers surgit, sirène hurlante. Je fus embarqué sans ménagement. Je ne réagissais plus, abasourdi de l’absence d’Artémise. Où était-elle passée ? Je ne comprenais plus. Nos deux doubles tombés à terre, touchés par les balles. Mais Artémise, la vraie, qu’était-elle devenue ? Une idée bizarre m’assaillit. Au fond, Artémise était-elle vraie, c’est-à-dire réelle ? Je ne la connaissais que peu. Certes, elle avait habité chez moi pendant quelques jours, mais après tout, qu’est-ce que cela voulait dire ? Aurait-elle été envoyée par quelqu’un pour faire cesser mon cauchemar ? Une fois sa mission accomplie, elle disparaît. C’était logique, mais était-ce possible ?

Arrivé au poste de police, je tentais vainement d’expliquer ce qui s’était passé. Le commissaire n’entendait pas que l’on se moque de lui. Garde à vue ! Je me retrouvai en cellule. Cela me permit de réfléchir à ces événements. Mais rien ne vint. Je n’y comprenais toujours rien. Le lendemain, à nouveau interrogé, je répétai la même chose. Le commissaire prit une décision. Il m’envoya à l’hôpital psychiatrique. Après une journée dans une pièce de couleur crème, garnie de mousse, avec un lit également en mousse, on m’annonça l’arrivée du médecin. Stupéfaction. C’est Artémise qui entra. Elle me regarda tranquillement pendant que je me remettais de cette apparition. Mais que faisait-elle là ? L’infirmier me lassa seul avec elle.

– Artémise, que faites-vous là ?

– Mon cher, j’étais chargé de vous surveiller.

– Mais, pourquoi ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

– Vous faites partie d’un programme spécial. On étudie votre degré de résistance au changement. C’est un programme d’étude mis au point par le gouvernement pour les élections futures. Nos hommes politiques s’interrogent sur nos capacités au changement. La France reste bloquée sur une vision unique qui consiste à ne rien vouloir changer et, dans le même temps, à exiger de nos politiques des améliorations dans leur vie. Alors ils ont demandé à une entreprise spécialisée dans la conduite du changement de faire un programme d’étude sur plusieurs personnes pour identifier leur capacité d’évolution.

– Mais de quel changement parlez-vous ? Les autres ont-ils eu également droit à des changements de comportement de leurs doubles ?

– Non, chacun a été doté d’un changement spécifique. Vous, vous êtes tombé sur celui-ci, mais cela aurait pu être différent.

– Mais comment avez-vous fait pour m’impliquer dans une comédie comme celle-ci ? Je n’étais pas fou. J’ai bien vu mon double se comporter différemment de moi-même !

– C’est un secret. Je ne peux vous le dévoiler.

– Et, cela ne vous a pas dérangé de me jouer la comédie pendant tous ces jours ?

–Non. D’ailleurs je me suis bien amusé. Vous étiez trop drôle !

J’étais furieux contre Artémise, d’abord parce que je n’y comprenais rien, puis parce que je me sentais trahi. Notre entente s’arrêtait là. Qu’est-ce que voulait dire ce programme d’étude sur nos capacités au changement ? Etait-ce encore une invention de nos dirigeants pour se trouver des excuses lors d’une prochaine élection ? Intérieurement, je me jurai de m’expatrier dès que je serai libre. La vie dans notre pays n’était plus possible. Je le dis à Artémise d’un air las. Elle me regarda avec compassion, sans cependant tenter de se rapprocher de moi et de mes pensées. Elle restait froide comme un médecin de banlieue devant une maladie rare. Elle ajouta cependant :

– Si vous le souhaitez, vous pouvez interrompre le programme. Bien sûr, ce sera sans indemnités.

– Ah, il est prévu des indemnités ?

– Oui, mais seulement si le patient va au bout du programme.

– Eh bien, je vous dis non. Je m’en vais. Et laissez-moi vous dire : je suis profondément déçu par votre marchandage et votre comédie que je trouve indigne. Si vous me laissez partir, dès demain je quitte le pays.

Je fis demi-tour, laissant Artémise (était-ce d’ailleurs son prénom véritable ? J’en doute !). Je fus libre le soir même. Le lendemain, je partais pour l’Angleterre où je commençai une autre vie. Oui, je bannis ma maison de tout miroir et je choisis une femme qui avait peur de se regarder. Elle était jolie pourtant. Cette phobie m’arrangeait.