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08/11/2015

La Mayenne, sens dessus dessous

L’irréalité du soir envahit les bords de l’eau. Elle devient ciel et cette beauté transmise par l’oeil du photographe vous dédouble vous-même et inspire un double fortuné de rêves délirants.

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Mais s’agit-il d’un rêve ou d’une réalité transformée par la symétrie. L’univers serait-il dédoublé pour le plaisir des yeux ?

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Le ciel et la terre confondus en un ensemble dont la symétrie fait douter de son existence :

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07/11/2015

L'oiseau

L’oiseau, vert et cadencé, s’en est allé
Depuis, la pluie couvre les bois en silence

Une goutte se glisse et pénètre le col
Le frisson rappelle l’âme à elle-même

Envolée la luxure de l’automne
Qui tournait la tête aux biens intentionnés

Désormais le feu de l’hiver enchaîne
Le corps aux mouvements du cœur

Quelle est bonne cette odeur subtile
De salaisons et fumigations à ressortir
Lorsque la bise enlace la maison
Et vous force à rester là, tranquille
Dans l’attente imprévue d’une éclaircie
 
Et l’oiseau, vert et envolé, reviendra
Chantant pieusement le rayon de lumière
Qui frappe l’œil et fait fondre le cœur

©  Loup Francart

06/11/2015

Le miroir 11

Mon attention fut tout d’abord attiré par le reflet qui montait vers le coin en haut et à gauche du miroir.  Je suivis la trajectoire de la balle qui se dirigea vers mon double. J’ai même cru la voir dans la glace, avançant lentement, sans possibilité d’en changer la destination. Elle le frappa à la poitrine. Il me regarda sans rien dire et s’affaissa doucement. Il ne semblait rien me reprocher. Son regard n’exprimait qu’une incompréhension, une détresse immense et un soudain manque d’air. Il s’accrocha au cou d’Artémise qui tenta de l’empêcher de tomber. Elle le maintint quelque temps serré contre elle, mais sa tête bascula de son épaule à l’un de ses seins, déchirant le bouton de son corsage. Tout son corps s’affaissa.

En fait, contrairement à ce que j’avais pensé, à l’instant où la balle frappa sa poitrine, je ressentis la blessure. Je ne la voyais pas, mais le trou causé par la balle laissa sortir ma rage et entraîna un écoulement intempestif de mes émotions. Je me vidais littéralement et sentis les parois de mon être se rapprocher. J’étais écrasé par une pesanteur imaginaire. Je pesais une tonne, mes joues se mirent à coller aux dents, mon ventre se ferma sur les intestins, même mon sexe se racornît. Je ne pouvais plus lever les bras et mon pistolet me tomba des mains. Je ne contrôlais plus mes mouvements. Je n’avais plus de volonté ! Un état d’être bizarre s’empara de moi. Je voulus lutter contre cette impression, mais rien n’y fit. Je fermais mes mains autour de la blessure, tentant d’empêcher la fuite de ma personnalité. Mais la pression était trop forte. Elle jaillissait entre mes doigts et je m’enfuyais à grandes enjambées. Surpris par l’événement, je me suis tout d’abord affolé. Peu à peu, la poussée s’affaiblit et une certaine sérénité s’empara de moi. Je me regardais me dissoudre dans l’air et contemplais le fait comme s’il survenait à un d’autre. Cette fuite de mon personnage hors de lui-même m’empêchait de respirer. Je manquais de souffle et hoquetais pour tenter d’en aspirer d’avantage. Mais rien ne venait. J’avais comme un sparadrap sur les lèvres et n’arrivais pas à le retirer. Ma vue se troubla, je regardais Artémise, elle me souriait d’un air tendre sans paraître comprendre ce qui m’arrivait. Pour elle, j’avais vaincu mon double et c’était une bonne chose. Mes genoux flagellèrent. Elle me retint quelque temps, puis me laissa tomber mollement sur le sol, me soutenant la tête. Je ne pouvais plus respirer normalement. De temps à autre, j’arrivais à prendre quelques bouffées d’air, mais elles se faisaient de plus en plus rares. Mes yeux se fermèrent pour se concentrer sur la recherche d’air. Mais plus rien. Je fus plongé dans le vide avec une sensation de chute libre et je savais que je ne disposais pas de parachute. Cela dura, dura, avant que la lumière ne m’envahisse d’une chaleur bienfaisante, dissolvant mes cellules.

C’est alors que je vis mon double. Il était resté sur terre. Il semblait s’être remis de sa blessure. Mieux même, il ne semblait pas avoir subi l’impact de la balle. Il riait et Artémise continuait à sourire. Elle semblait délivrée, prenant du recul, considérant ce qui s’était passé comme un non-événement. Ils se regardèrent, firent un geste de dépit de la tête, levèrent la main en signe d’au-revoir et partirent chacun de leur côté comme si de rien n’était. J’essayai de crier, mais mes cellules ne répondaient plus. Elles étaient trop dispersées et je m’éloignais trop vite.

J’avais tellement froid…

05/11/2015

La table

Une table, pensons-nous, est un objet universel, comme l’est un pot de chambre ou une carafe d’eau. Eh bien non ! Certaines sociétés n’admettent pas la table. Leurs habitants mangent par terre, assis en tailleur, taillant les beefsteaks à pleines dents. Généralement d’ailleurs, ceux qui ne disposent pas de table ne disposent pas non plus de fourchettes. Curieux, est-ce le hasard ? La table serait-elle liée à l’esprit carnivore ? On peut se le demander !

En fait, la table est une invention récente et dépend vraisemblablement du degré sophistication de la population qui l’emploie. Ainsi les hommes de Cro Magnon, dénommés ainsi parce qu’ils mangeaient avec leurs dents directement sans utiliser le couteau, n’avaient pas besoin de table. En Afrique, parce qu’il fait toujours chaud, la table n’est pas non plus utilisée et n’a pas été inventée là-bas. Une feuille de bananier suffit pour y faire une assiette. De même en est-il chez les chameliers arabes et la population sud méditerranéenne. Assis par terre, les jambes croisées, ils n’ont pas d’assiettes non plus, mais un plat unique contenant de petites graines qu’il faut tasser entre les doigts et projeter dans la bouche avec adresse en même temps que l’on déguste un pilon de poulet à pleines mains. Ils n'ont d’ailleurs pas non plus de verre. Ils boivent à même la panse d’un chameau en visant leur gosier. Ce n’est pas grave si cela déborde et mouille le col, car ça sèche vite dans ces pays. En fait, la table est une invention purement occidentale, même si les japonais disposent également de tables lilliputiennes avec coussins assortis. Cela leur permet de s’incliner gravement devant la tablée avant de s’assoir en retirant leurs chaussures. Ils sortent alors leurs baguettes, se les enroulent autour des doigts qu’ils gigotent ensuite pour prendre trois grains de riz et se les propulser dans la gorge en tenant leur bol à hauteur des yeux. Jamais de couteaux, ils craignent le crime et ne mélangent pas l’art de la table et l’arme blanche. Tout est prémâché chez eux, standardisé, optimisé pour éviter toute fatigue aux convives. On ressort détendu du repas, mais les jambes nouées.

La table fut inventée au Moyen Age. C’est récent. C’était en fait plutôt une tablette sous laquelle on installait des pieds. Sa définition est simple : « Meuble à plateau horizontal posé sur un ou plusieurs pieds ». Ce plateau est généralement pourvu de quatre pieds, ce qui lui donne une certaine stabilité. Mais on rencontre des tables à trois pieds, plus économiques, mais plus instables. En effet, le préfixe « in » sert à former les contraires, c’est-à-dire les antonymes d’adjectifs ou de substantifs. In-s-table, signifie donc que la table n’en est pas vraiment une car le plus souvent les mets qui s’y trouvent se retrouvent par terre. Nous reparlerons de la table à un pied, plus moderne avec ses avantages et inconvénients.

Donc, au Moyen Age, on emmenait la table avec soi. Elle était composée d’une planche et de deux tréteaux et se repliait facilement. L’inconvénient était le vol de table qui a débuté lorsque le civilisé s’est intéressé au spiritisme. On fabriqua alors de nombreuses tables tournantes. Les tréteaux ne servaient plus à rien, mais rien ne tenaient sur ces meubles. On finit par les abandonner. Devant l’augmentation des cambriolages, on fit des tables lourdes qu’on ne déplaçait plus. Elle devint objet d’abord de luxe, puis très commun. Nous avons tous une table chez nous, et même, pour les plus nantis, plusieurs.

Chez les occidentaux, la table n’est jamais seule. Elle est pourvue d’accessoires indispensables à quatre pattes également, mais dont le plateau ne sert qu’à poser les fesses. Appelés d’abord tabourets et très proches de la table, ils furent perfectionnés et devinrent chaises, pourvus d’un dossier. Les plus riches peuvent également utiliser des fauteuils, sortes de chaises munies d’accoudoirs permettant un maintien plus sophistiqué. L’inconvénient des chaises réside dans la hauteur que l’on donne à leurs pieds par rapport au plateau de la table. Trop bas, vous risquez de laisser tomber le contenu de votre fourchette avant qu’il n’atteigne votre bouche, trop haut, vous n’atteignez pas la fourchette. Tout cela est maintenant standardisé, sauf pour les enfants qui continuent, lorsqu’ils mangent à la table des grands, à avoir leur assiette à hauteur de la bouche. On ne leur donne pas de fourchette, mais une petite cuillère qui permet plus facilement de faire glisser les aliments de l’assiette à la bouche.

Dernier raffinement, d'origine américaine bien sûr, la table à un pied (on y vient !). Enfin, ce n’est pas vraiment un seul pied, mais une sorte de patte d’éléphant avec un manche et un empattement plus épais vers le bas. Cela tient jusqu’à un certain point si le sol est plat. Ce qui est nouveau, c’est l’art de se servir de ces tables unipattes. On l’utilise sans chaise. On reste debout et on amène les aliments dans des petites boites en carton que l’on déguste avec des fourchettes en plastique. Quelle élégance ! Et quel bonheur pour les enfants de participer à ce nec plus ultra de la gastronomie occidentale. L’inconvénient pour eux est que la table est généralement trop haute. Ils ne voient pas ce qu’ils veulent manger avant de l’avoir pris, enfoncé leurs mains dedans qu’ils avaient auparavant léchées pour les nettoyer. Par contre cela leur permet de courir entre deux bouchées pour les faire passer. Encore quelques temps et l’on reviendra à la table sans pieds ni plateau, simple objet de décorum qui tient debout en lévitation magnétisée et dont seul le reflet permet de savoir où poser son assiette.

Enfin, sachons-le, la table est un instrument utile, car elle ne sert pas qu’au plaisir de la table. Elle a de nombreux autres usages tous aussi indispensables les uns que les autres. Ainsi, moi-même vous décrivant la table, je l’utilise pour poser mon ordinateur et taper quelques voyelles et consonnes. En fait, très vite la table devint un vide-poche où l’on balance ses clefs et autres objets en rentrant le soir du travail. Il faut toujours avant de s’en servir la débarrasser de ces attributs inusités, mais indispensables. Ainsi l’occidental passe entre douze et quinze heures par jour à table. Pas étonnant qu’il grossisse. Certains vont même jusqu’à rouler sous la table certaines fins de semaine. Ils appellent cela « Happy hour ». C’est une invention américaine qui date, parait-il, de la prohibition. Cela se pratiquait alors chez soi, entre amis. Puis, comme à l’habitude outre-atlantique, la pratique fut commercialisée. Cela rapporte, paraît-il ! En France, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie envisage l'interdiction des happy hours. Mais à Paris de nombreuses tables la proposent.

La table est un sujet à la mode depuis que nos grands chefs construisent des œuvres d’art. Elle s’accompagne d’un art de la table où le décorum a autant sinon plus d’importance que ce qu’il y a dans l’assiette. L’assiette devient tableau, parfum. Elle n’a pas encore trouvé le moyen de jouer de la musique, mais cela ne saurait tarder.

Il reste encore beaucoup de choses à dire sur la table, mais j’entends quelqu’un crier dans la maison « à table ! », alors je vais devoir vous quitter. Comme le disent certains, en pensant qu’il est poli de se réjouir à l’avance : « Bon appétit ! ».

04/11/2015

Les mardis littéraires

Je présenterai, avec Lann Bellat, directrice littéraire des éditions du Panthéon, mes deux livres, Dictionnaire poétique et Petits bouts de rien, le mardi 10 novembre aux Mardis littéraires (café de la Mairie, 1° étage, place Saint-Sulpice, Paris 6°) entre 20h30 et 21h15.

Au rendez-vous : lectures et impressions, échanges avec le public et dédicace.

Vous êtes invités, venez nombreux !

Prés Mardi 10 nov blog.pdf

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03/11/2015

Eternel

Toi, revenu sur ta parole
De la tête à la queue
Tu refuses pourtant le cercle
Et te projettes sur la ligne

Elle s’enfonce dans l’espace
Et s’enfuit dans le temps
Tu es là, seul, innocent
Perdu sur ta branche

Tu agites les ailes de la tentation
Et tombes les bras en croix
Tu es saisi par le vide
Qui courre sous tes pieds

Suis la corde de ta trajectoire
Prends la tangente de ta peine
Et parcours la moitié
Du paradoxe d’Achille

Toujours tu seras derrière
Et la course dure mille ans
Plus tu avances, plus tu ralenties
Jusqu’à t’arrêter au bord de l’éternité

Alors seulement tu pourras revisiter
Ta destinée dans l’éternel retour

02/11/2015

Le miroir 10

Enfin vint le jour attendu. Le piège se referma de manière très naturelle. Nous nous promenions l’air de rien, l’un à côté de l’autre. Nous nous engageâmes dans la rue jusqu’au recoin muni de miroirs, nous tournâmes à gauche comme si de rien n’était et nous pûmes nous voir dans le miroir de face. Il se tînt d’abord comme un bon double. Pas un geste déplacé, une symétrie impeccable. Mais il dût se sentir trop à l’aise dans ce piège parfait à trois miroirs. Je le vis imperceptiblement se détacher de mes mouvements et prendre son autonomie, même s’il faisait semblant de suivre plus ou moins ce que je faisais. Il rejoignit le double d’Artémise et, la prenant par la taille, l’embrassa sur la bouche. Nous étions suffoqués : deux mutineries. De plus la situation était gênante. Je n’osais regarder celle-ci, mais j’entendis une sorte de petit rire discret et amusé. Elle semblait apprécier, sans toutefois trop le manifester. J’avais sorti mon pistolet. Mais comment viser mon double près de celui d’Artémise ? C’était trop risqué. Et ils continuaient de s’embrasser. Que faire. J’entendis Artémise me crier :

– Allez-y, qu’attendez-vous pour tirer ?

– Mais… Je risque de vous toucher !

–Mais non, ce n’est que mon double. Je ne risque rien. Tirez !

Je restai impassible, exécutant mes gestes dans une sorte de brouillard épais. J’avais néanmoins un sentiment d’allégresse. J’allais être débarrassé de cet être ignoble qui me narguait sans cesse. Je pointai mon arme vers lui, rageusement, par jalousie sans doute. Je pris froidement la visée, la maintins, puis appuyai lentement sur la détente jusqu’au point dur de décrochage. Je sentis l’instant où le percuteur fut libéré et où il frappa la cartouche.

Que se passa-t-il alors, je ne le sais. Ma tête explosa littéralement. Ma vision se fractura en plusieurs espaces, un peu comme vous vous regardez démultiplié lorsque deux miroirs se font face et que vous vous interposez entre eux. Mais là, ce n’était pas seulement un simple aller-retour de doubles qui prolifèrent entre les deux glaces, mais trois reflets : l'un en face comme on a coutume de se voir dès l’instant où deux glaces se font face,  un autre à gauche et le dernier à droite, ces deux-là partant non pas vers un point convergent, mais au contraire divergent. Et bientôt je vis chacun de ces reflets prendre son autonomie et avancer dans le temps de manière différente, mais quasiment ensemble. La balle frappa la vitre qui se brisa en mille morceaux et commencèrent trois épisodes étroitement mêlés, mais se façonnant un avenir fondamentalement différent. Je ne comprenais pas comment cela pouvait se faire, mais cela était. Je vécus alors trois fois, dans le même temps, la suite des événements sans comprendre lequel était le vrai ou même s’il y en avait un vrai.