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02/11/2014

Prodigieux (2)

Elle ne me laissa pas entrer le premier et me demanda d’attendre quelques minutes, le temps de ranger un désordre indescriptible, disait-elle. Enfin, elle m’appela. Je poussai la porte, excité, intrigué par la personnalité de cette femme qui ne ressemblait à rien de connu. J’entrai dans une grande pièce qui ressemblait à un atelier de peintre. De grandes toiles pendaient aux murs. Elles couvraient quasiment tout l’espace. Certaines ressemblaient à des annonces nécrologiques : du noir et du blanc, ordonnés, tirés au cordon, géométriques et harmonieux comme un service funèbre, d’une beauté fatale qui donnait à rêver. Ils étaient là, mais en absence, statufiés, vivant hors du temps. D’autres, en couleur, étincelaient de lueurs inédites, revêtus de bleus sombres virant au vert émeraude, toujours aussi ordonnés, plus apaisants que les noir et blanc. Deux mondes qui se côtoyaient sans se toucher, contrastés, déchirants, mais emplis de majesté sereine et intemporelle. Elle me regardait, le visage tendue, recherchant une trace d’approbation. Ses yeux se troublèrent. J’y décelais une rosée d’inquiétude. Que dire ? Rien pour l’instant. La surprise était trop importante et me laissait sans voix. Pour calmer mon esprit, je reportais mon regard sur le reste de l’atelier. D’autres toiles étaient alignées contre les murs, entassées, protégées par des couvertures défraichies, certaines étaient même nues, couvertes de traits, de cercles, de rectangles qui s’enchevêtraient les uns dans les autres pour former une jungle impossible dans laquelle le regard se perdait. Au centre se trouvait une oasis, deux canapés face à face, séparés par une table basse de verre montée sur des sculptures bizarres faites de fer assemblés vraisemblablement à l’arc électrique. Plusieurs petits meubles contenait des livres, d’autres des pots de peinture, certains des pinceaux, entassés les poils en l’air, tout cela dans un désordre organisé qui, finalement, donnait presque un air mondain à la pièce encombrée. Je tournais plusieurs fois sur moi-même, quelque peu éberlué et revenait vers son visage qui semblait attendre une parole, un son, un étonnement, bref une approbation ou un rejet.

– Prodigieux, m’exclamais-je.

M’étais-je suffisamment exprimé ? Elle me regarda gravement et me dit :

– C’est tout ?

– Que voulez-vous que je vous dise. Il faut me laisser le temps de m’acclimater. Il faut aussi laisser le temps aux tableaux de m’apprivoiser. Nous devrions finir par copiner, mais cela ne se fait pas en deux minutes.

– Ah ! Une parole raisonnable. Prend ton temps. Imprègne-toi, je vais préparer quelque chose.

Elle entra dans une autre pièce, très vraisemblablement la cuisine. Je l’entendis faire couler de l’eau, sortir de la porcelaine. Une cafetière lançait des jets de vapeur dans son circuit. Elle finit par revenir, portant un plateau avec une cafetière, deux tasses, un sucrier. Elle le posa sur la table basse et remplit les tasses, sans rien dire, me regardant à la dérobée, curieuse de mes réactions. Elle s’approcha de moi et, en tendant le bras vers un des canapés, m’invita à m’assoir.

– Nous serons mieux assis.

Elle me tendit une tasse que je pris mécaniquement, l’esprit toujours préoccupé par ces tableaux qui m’invitaient au silence. Ils avaient quelque chose d’envoûtant. Elle ne semblait pas le remarquer, ou, peut-être, en avait-elle trop l’habitude. Elle ne parlait pas, attendant mes réactions. Comme je restais silencieux, elle posa doucement sa main sur mon bras, tendit ses lèvres vers mon visage et posa un baiser sur ma joue, presqu’au pli de la commissure des lèvres.  Que voulait-elle ? Je passais mon bras derrière elle, lui prit l’épaule opposée et la serrait contre moi. Elle se pelotonna contre mon aisselle, sans rien dire, les yeux fermés. Elle semblait bien et ne rien désirer de plus. Nous restâmes ainsi plusieurs minutes, semblant oublier le café qui refroidissant dans les tasses. Elle ouvrit à nouveau les yeux, les laissant errer sur la pièce sans rien chercher de particulier, puis me regarda.

– Tu fais très bien dans le décor. Grand, mince, brun, distingué… Quel amphitryon ! Viens plus près de moi, là.

Elle me montra le haut de sa poitrine toujours vêtue du corsage acheté dans la boutique dont elle déboutonna la dernière attache, tout ceci le plus naturellement du monde. Je me laissais faire, m’inclinant sur ses seins dressés, tournant la tête vers ses lèvres qui me laissèrent un goût sucré-salé qui ne m’étonna pas. Elles étaient fines, un peu pulpeuses cependant, et laissaient passer son souffle tiède, enivrant. Elle me prit la tête à deux mains, ouvrit ses lèvres, m’invitant à pénétrer dans son intimité. Je ne résistais plus. Rien ne pouvait maintenant m’empêcher de découvrir son visage, d’en chercher tous les recoins, de baiser ses cils élancés, d’enfouir mon nez dans son cou à l’odeur de cannelle citronnée, d’entrouvrir ses lèvres chaudes d’une bouche sûre et avide.

– Attends, me dit-elle. Laisse-moi reprendre mes esprits. Ne nous précipitons pas dans une volupté dispendieuse. Laisse monter en moi un début d’extase et que plus tard il nous comble de ses félicités. Que penses-tu de mes tableaux ?

Ne sachant si elle peignait ou ceux-ci était l’œuvre d’un auteur inconnu, je n’avais rien dit qui les concernait. Me redressant, laissant s’échapper les effluves émanant de sa personne, je me lançais dans un constat dithyrambique.

– Tes tableaux sont avant tout toi-même. Non pas celle qui se promène dans les rues de Paris, auscultant les magasins, admirant les voitures, reluquant les jeunes hommes. Mais toi-même en tant qu’inconnue. Voilà pourquoi je suis resté dans voix en entrant. Je ne te reconnaissais pas. Pourtant j’étais également troublé par une similitude, une apparence qui ne voulait pas se dévoiler. Il y avait la face colorée, mais derrière apparaissait l’irrésolution de ton regard qui est beau. Cette beauté cache quelque chose. Quoi ? Je ne le sais pas encore, mais dans les instants qui vont suivre, peut-être découvrirai-je, à travers ton extase, le secret que tu caches à toi-même.

Elle me regarda, étonnée. Elle semblait avoir été mise à nue. Je vis sa bouche s’entrouvrir, ses yeux vaciller et s’embuer d’une rosée visible. Elle me tendit sa main.

– Voilà qui est parlé. Je suis surprise de ta perspicacité. A croire que tu me connais bien.

Elle n’en dit pas plus, me reprit la tête, se pencha vers moi, m’embrassa moins sauvagement, avec tendresse et tout à coup éclata en sanglots. Cela dura moins d’une minute. Je ne savais que faire. Je lui caressais la nuque. Je sentais toute sa personnalité en alerte. Elle se détendit, me regarda encore une fois, ouvrit son corsage et me montra une poitrine jeune, haute, enrobée dans un soutien-gorge blanc qui la serrait un peu, à tel point que l’on voyait une partie de ses auréoles au-dessus de la ligne brodée des bonnets. Je ne pus m’empêcher de les contempler, puis de rapprocher mes lèvres de cette chair offerte, tendre et chaude, d’une douceur incomparable. Elle sentait le savon frais parfumé à la lavande. Je m’enfouis dans ce champ odorant, cherchant à attraper d’un baiser la pointe érigée d’un de ses seins. Elle me reprit, m’écarta d’elle et, tout en soupirant, referma les deux boutons de son corsage. Elle se mit debout et me dit brusquement :

– Je ne t’ais pas tout montré.

Elle me prit la main et m’entraîna vers la porte du fond. En l’ouvrant, elle s’effaça et me dit d’entrer. La pièce était noire, un peu moite, baignant dans une atmosphère très différente.

01/11/2014

Messe pour les solennités (2/3)

 

 

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31/10/2014

Vitalité

Laisse monter en toi le délire de mots
Ferme les yeux à l’apostat !

Elle partit d’un jet, courant sur le pré
Encombrée de sa robe de mariée
Elle nous quitta sans bruit
Pfuit… Plus rien devant nous

J’eus beau chercher sa taille
Je ne trouvais que le bruissement
Des fils de soie de sa ceinture
Qui se dévidaient entre mes doigts

Alors moi aussi je me mis à courir
Derrière les courants d’air
Prenant garde de ne pas m’enrhumer
Jamais je ne pus la rattraper

Nous parcourûmes le monde
Puissant dans nos besaces
L’espoir de nous retrouver
Et de nous jeter dans les bras l’un de l’autre

Mais elle s’échappait plus vite
Allez savoir pourquoi
Elle sentait le stupre et la caresse
Mais volait comme une princesse

Nous passâmes au pôle nord
Refroidis jusque sous les aisselles
Nous parcourûmes le désert
Pleurant de soif derrière l’ombre

Nous naviguâmes toutes voiles dehors
Jusqu’aux confins de la terre
L’œil sur l’horizon, la main sur la barre
Sans jamais rencontrer un être vivant

Aujourd’hui, je poursuis nos fantasmes
Seul, sans pilote ni moteur
Ronronnant petitement, nu sous le soleil
Et me brûle au rêve de mes prédécesseurs

Où donc es-tu passé sous ta robe de taffetas ?
Ton fantôme court-il encore, invisible
Aux regards des hommes en attente
D’un plus grand désespoir ou abandon

Fuis-tu toujours sous l’opprobre
De cette matinée aérienne
Quand tu te levas avant de dire oui
Et sortis sereine sans un pleur

Plus rien ne pourra cacher
Cette blessure béante à ton flanc
Celle de la séparation mortelle
D’avec l’homme d’une vie morose

Altière tu nous quittas, tête haute
Les larmes aux yeux, mais souriante
Et marchas vers ton destin
L’adoration sans faille de la vitalité

© Loup Francart 

30/10/2014

Ne pars pas avant moi, roman de Jean-Marie Rouart

Le dernier chapitre éclaire le livre et le résume. L’orage. Eclatera-t-il  ou se contentera-t-il d’agacer les nerfs ? L’auteur condense en une description des aléas de la nature celle d'une vie qui semble familière, mais dont les plis recèlent de multiples réminiscences. Je pense à Berthe Morisot, qui a écrit dans ses carnets la phrase la plus belle et la plus désolée qu’on puisse confier à soi-même quand on s’apprête à quitter le monde : « Mon ambition se bornerait à fixer quelque chose de ce qui se passe ; quelque chose, la moindre des choses ; une attitude de Julie, un sourire, une fleur, un fruit, une branche d’arbre et, quelques fois, un souvenir plus spirituel des miens, une seule de ces choses me suffirait. » J’ai l’impression d’appartenir comme elle à cette race qui se désespère de ne trouver rien qui lui apporte la preuve de son existence, sinon en la mettant en peinture ou en mots. Ces mots capables de façonner les visages et les paysages, il me semble qu’ils me relient à la seule vie par laquelle j’existe. (…) Qu’est-ce qui demeure encore ? (…) Quel sens, tout cela ? (…)  

Le soleil réapparaît éclairant le cap Corse, effaçant le souvenir de l’orage. Un petit nuage rose à même l’impudence de gambader au-dessus de l’horizon. Je regagne ma chambre. Un message de Jean d’Ormesson m’attend : « Ne pars pas avant moi. »

Ainsi s’achève ce roman autobiographique, fait de morceaux de vie de l’adolescence à la vieillesse qui n'est qu'évoquée dans ce dernier chapitre. L’auteur se dévoile tout en s’interrogeant sur les mystères du destin. Un jeune homme lointain et proche, qui vit l’amour avec ironie et qui conte ses rencontres avec le sérieux qu’il semble attacher au côtoiement des grands de ce monde, en particulier de la littérature.

Qu’en retenir ? L’évocation de ses conquêtes. D’abord Solange qui le trompe, mais qui l’aime malgré son mariage, Sara qui abandonne ses futilités pour le rejoindre dans sa chambre d’étudiant et quelques autres, toutes enchantées et enchanteresses. L’évocation de ses rencontres aussi, avec Vergès, Cardin, Nourrisier, l’écrivain du désenchantement du monde, mais surtout Jean d’Ormesson, l’écrivain fétiche du jeune homme qu’il était et qu’il veut nous faire croire qu’il est toujours.

Cette dernière évocation donne le style du livre. Oui, il est merveilleusement écrit, plein de descriptions oniriques et d’extases sur cette vie de rencontre, promenade dans les salons littéraires quelque peu compassés. Car si le style est enchanteur, les enchantements décrits restent très personnels et font preuve d’un certain contentement de soi. Il se décrit comme un être rejeté parce qu’il a raté son bac ; J’avais dix-sept ans. Ce soir-là, je n’attendais rien de la nouvelle année. Pourtant j’en attendais tout. J’avais peur de m’enliser dans une existence grise et banale et, au fond de moi, j’étais gonflé d’espoir. (première page du livre qui en donne la trame). Mais il fait apparaître son contentement dans les descriptions de cette vie bourgeoise, riche matériellement et intellectuellement.

A la manière de Jean d’Ormesson, Jean-Marie Rouart est un enchanteur qui tourne sur lui-même, y revient sans cesse et se délecte dans ce mélange de réalité et de fiction, d’impressions et de descriptions, de liberté et d’obligations.

Ecoutez-le et vous comprendrez :

http://www.youtube.com/watch?v=VEAaG9t7yQ0&feature=player_embedded


29/10/2014

Messe pour les solennités (1/3)

Une messe composée pour la chorale qui la chanta plusieurs fois au cours des deux ans :

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28/10/2014

Prodigieux (1)

Prodigieux ! Elle s’éveilla, se dressa sur le lit, me regarda et me dit :

– Quelle pâle lueur au fond des yeux.

Et je voyais danser dans ce miroir intense les diables délurés des jours de colère. Elle ne me voyait plus. Ce n’était que bagarres et scènes. Rien ne nous rapprochait. Elle échappait à toute logique. Ses cheveux en bataille, son sourire charmant, sa lèvre enfiévrée, tout son corps tendu vers le souvenir, elle se repliait sur elle-même. C’était pourtant bien la même qui deux nuits auparavant avait revêtu sa nudité et s’était glissé dans le lit avec candeur. Elle s’était laissé étreindre en toute connaissance de cause, souriant à l’aventure, s’amusant de caresses insolites. Je vis pourtant dans ses yeux sa folie. Un éclair d’acier parcouru sa rêverie. Ce fut bref, mais intense. Je pris de la distance, prenant garde aux palpations malveillantes. Elle les prodiguait sans retenue, laissant errer ses mains au-delà de la décence. Mais toujours ce visage impassible, beau d’ailleurs, mais si lointain qu’il en devenait gênant. Je m’habituais, osant la regarder, contemplant ses cils qui palpitaient silencieusement et qui disaient tout bas ce qu’elle ne pouvait dire, la folie et l’inconscience.

Je l’avais rencontré dans une boutique obscure, encombrée de vêtements défraichis, derrière un présentoir. Elle essayait un corsage. Elle disposait d’une pile bigarrée et puisait dedans : trop petit, rugueux, enlaçant, verdâtre, ruisselant. Elle ponctuait chaque essai d’un mot dur, apostrophant. Je la regardais depuis un moment lorsqu’elle m’aperçut. Elle n’était nullement troublée. Elle me prit à témoin :

– Tenez, aidez-moi. Je ne sais quoi choisir. Aucun ne me semble destiné. Mais ce soir j’ai un diner et me dois d’être brillante.

Je lui répondis que le seul tissu pour cela était cette soie légère, de couleur lie de vin, aux épaules bouffantes, qui se cachait à moitié sous le tas diffus. Elle retira sans aucune gêne l’élégante blouse qu’elle avait mise en la passant par-dessus sa tête, les bras levés, les seins dressés. Elle prit le corsage, l’enfila, enfouit sous sa jupe étroite les pans resserrés et se montra dans toute sa beauté de femme qui sait ce qu’elle veut.

– Oui, ton goût est sûr. Cela me va mieux que tous ces salmigondis.

Elle le garda sur elle demandant à la vendeuse d’enfouir dans le sac d’achat son chemisier mis à mal, paya d’une carte orange et sortit promptement me regardant réellement pour la première fois.

– quel beau jeune homme, s’exclama-t-elle d’un air enchanté.

Elle partit le nez, qu’elle avait rectiligne, au vent d’automne, marchant aisément parmi la foule, portant son sac haut sous le bras, retenu par l’anse au creux de l’épaule. Elle fit une petite grimace lorsqu’elle vit son reflet dans la glace d’un magasin, redressa une mèche de cheveux, se sourit et engagea une longue conversation sur les faux chefs d’œuvre de la FIAC qu’elle venait de quitter.

– Une honte, je te le dis. J’ai vu trois pâles crottes rouges étalés sur le sol fait d’un morceau de linoléum dans un espace immense étincelant de propreté. Le galeriste vantait précautionneusement l’élégance de la scène qui se prénommait « Destitution ». Une vieille bigote de l’église d’art conceptuel pérorait à ses côtés, voulant comprendre pour quelle raison elle ne sentait rien. Et l’autre de lui dire que c’était normal. Il fallait laisser le travail de l’imagination faire son chemin, monter lentement dans l’enchevêtrement des souvenirs pour à un moment inattendu laisser venir au nez l’odeur délicate du chef d’œuvre.

Elle se mit tout à coup à courir en petits pas chassés, leva un bras impératif, s’engouffra dans un taxi noir et élégant. Eh bien, viens donc, qu’est-ce que tu attends, s’exclama-t-elle devant mon hésitation. Je montais derrière elle sans hésiter, déjà enjôlé par cette fille, non cette femme, à l’éclair vif argent. Elle ne cessa de bavarder en me montrant les rues, les gens, les chiens, les marchands de journaux. Tu as vu… Regarde… je suis folle de cela… Un tourbillon. Mais un visage de marbre.

A l’arrivée, elle me mit dans les mains ses paquets, fouilla longuement dans son sac boursouflé, en sortit  un trousseau et ouvrit avec précaution une porte si lourde qu’elle dut pousser fortement avec l’épaule pour la faire pivoter.

Monté jusqu’au cinquième dans une cage d’escalier rutilante, sur un tapis rouge grenat, dans un silence impressionnant. Je peinais avec les paquets sans toutefois me demander ce que je faisais là. Tout ceci me semblait naturel, dans l’ordre des choses, comme une conclusion lentement mûrie. Elle, elle ne voyait rien. Elle pérorait, mais sans chaleur. Elle dévidait ses propos avec distance, comme un sage. Elle avait l’art des contrastes. Détachée, mais active, voire enfiévrée. Tenant toujours à la main ses clés, elle tendit le bras et d’un geste sûr entra dans le pêne une sorte de passe-partout. J’étais dans l’antre d’une sorcière et je ne le savais pas.

27/10/2014

Danse

Ils étaient trois
Trois pigeons sur le bord d’un toit
Dans le carreau de ma fenêtre
Ils dansaient la valse des pigeons

Non… Il était seul, sans autre aide
Que celui du rebord de pierre
Sur lequel il s’épanchait
Sous l’œil impavide des deux autres

La gorge haute, il se dressait
Et avançait à petits pas
Puis deux tours sur lui-même
Sans autre forme de procès

Il revenait vers eux, crânement
Reprenait ses deux tours
En sens inverse, en métronome
Puis repartait en riant

Vraisemblablement, il délivrait
Aux deux autres un message
Que je ne compris pas
Je le voyais, aller et venir

Il poursuivit sa complainte
Devant le manque de réaction
De ces compagnons ahuris
Et s’arrêta, interrogatif

Ne voyez-vous pas, compatriotes
Que j’esquisse la danse sacrée
Des pigeons délurés
Jamais je ne tombe ni m’étourdis

Oui, il est temps de partir
Devant tant d’incrédulité
D’ailleurs l’un d’eux
Se jeta dans le vide

L’autre, penaud et embarrassé
Voulut conclure ce message
Il se redressa courroucé
Et monta droit dans les cieux

Le danseur resta unique
Sur le bord du toit
Là où toi et moi
Ouvrons nos cœurs de chair

Alors il partit lui aussi
D’un coup d’aile, un froufrou
Qui traversa la rue
Et vint frapper l’attente

Oui, trois pigeons au coin du toit
Dont un dansait la valse
Pour les deux autres
Qui ne virent rien

© Loup Francart