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10/12/2017

Le professeur de philosophie et de physique

Ce professeur était un homme remarquable, à la fois professeur de philosophie et de physique dans les classes de terminale. Il maniait les concepts scientifiques avec autant d’aisance que ceux de philosophie. Sa salle de classe était une toute petite pièce disposant d’une fenêtre  qui donnait sur un puits de lumière, sans autre paysage que le mur d’en face à 2 m de distance. Les élèves étaient serrés ; des tabourets permettaient de s’assoir derrière des tables en fer gondolées. Mais peu leur importait, ils entraient dans le salon de Mme de Sévigné, dans la chambre d’un philosophe ou dans le laboratoire d’une université américaine.

Ils l’avaient surnommé Einstein. Il s’appelait Monsieur Moréas. Il portait comme le célèbre savant des cheveux crépus en envol autour de sa tête et se laissait pousser une petite moustache. Il marchait lentement en raison de son âge, un peu courbé, mais ses réparties étaient fulgurantes et drôles. Nous l’écoutions religieusement, subjugués par son verbe.

Il disserta un jour sur la femme enchanteresse du monde : « La femme est une amphore, serrée à la taille, s’élargissant aux hanches, sans angles droits, une courbure parfaite, façonnée pour la procréation. La femme est la poésie de la terre, elle nous donne le goût de vivre par sa simple beauté naturelle. » Ses camarades jeunes filles en rosissaient, quelque peu gênées, mais fières de cet hommage du vieux professeur.

Il éclairait sur l’origine du monde, leur parlant du Big Bang, étrangeté à l'époque, tout en gardant le mystère de la création présent dans son discours. Il les initia à la pensée logique, à l’imagination créatrice. Homme complet, il avait un sourire charmant dont il usait lorsqu’il disait quelque chose de personnel et le plus souvent en plaisantant. Sa pensée était profonde, mais il parlait comme s’il disait des choses banales et ses élèves ne soupçonnaient pas les trésors qu’il leur divulguait. Ils l’ont tous remercié à la fin de l’année.

Il n’a qu’un regret, c’est de ne pas l’avoir revu. La jeunesse oublie, préoccupée par son entrée dans la vie adulte.

09/12/2017

L'homme sans ombre (39)

Que doit-il faire ? Il ressent maintenant les difficultés de ce qu’il a entrepris. Il discerne dans le même temps, toute la joie apportée par sa rencontre avec Noémie et la libération intense de ses préoccupations. Il comprend qu’il n’atteindra pas le nirvana en poursuivant dans cette voie. Il comprend également que l’amour humain seul ne peut lui permettre de l’atteindre. Mais il sait d’instinct qu’il constitue une aide pour le conduire à l’amour universel et au bonheur suprême. Que de chemins encore à parcourir, mais cette fois-ci sans recherche d’un but matériel,  lié à des désirs personnels, mêlés, il est vrai, à des préoccupations mystiques. Il n’est pas encore éveillé et sa connaissance ne lui sert à rien. Il doit maintenant s’efforcer de franchir la dernière barrière : passer de l’amour humain à l’amour divin. Il sait qu’il ne pourra le faire que dans la joie que lui donne Noémie qui le précède dans cette compréhension de l’amour. Redevenir le petit enfant et suivre celle qui l’a précédé. Enfin, il s’éveille, non à la manière du bouddha, car il n’a pas encore accédé au nirvana, mais à une voie autre qui pourrait l’y conduire.

Il dit alors adieu au compagnon qui l’a aidé et prend le chemin de Paris. Il est prêt à envisager une autre vie, plus libre, plus réelle, moins tendue et, finalement, moins fausse. Il part le nez au vent, sans souci, sans interrogation, sans l’ombre d’un regret. Il sait où il va, ce qu’il veut et plus rien ne l’en fera démordre. Il a détruit les barrières qu’il s’était érigées et s’ouvre à l’inconnu, sans aucune crainte. Il sait qu’il perd ce qu’il a mis tant de temps à acquérir, mais peu importe. Il est libre. Il va perdre ses pouvoirs, tous ses pouvoirs : matériels, psychologiques, spirituels. Cela ne le bloque plus. Il est libéré.

08/12/2017

Souvenirs

Parfois reviennent des bribes de souvenirs
Elles sont ténues, orphelines et soumises au vent
Elles errent comme les atomes dans l’espace quantique
Apparaissent où on ne les attend pas, indiscrètes
Et mêlent leur irruption d’un parfum de déjà vu
Mais te souviens-tu de leur lieu et du moment
Où elles frappèrent de surprise ton attention
Jusqu’au bout de tes certitudes et désolations
L’effet produit, elles repartent aussi vite que possible
Et s’oublie cet instant, béni ou non, de l’apparition
Dans l’horizon des possibles et le ciel du probable
D’une certitude d’un fait sans rappel de sa naissance

Le jour où la larme rappela ta détresse sans motif
La nuit où ton corps fut mon dernier refuge
Le matin quand la fraîcheur des vies t’enivre
Le soir quand l’espoir endort tes défenses
Et tous ces entre-deux, de surprise en surprise
Qui frappent à ta porte et enfoncent leurs doigts
Dans le cerveau brûlant des jours d’antan

 ©  Loup Francart

07/12/2017

Ecoulement

Seul,
Il est.
Il frémit.
Est-il parti ?
Rien ne le retient
Au bord de l’abime.
Quel voyage cahotant…
La chute en sera plus rude.
Plonge et surnage dans les vagues !

1-17-12-07 Ecoulement.jpg

06/12/2017

Aimez-vous Brahms ?

Un film franco-américain d'Anatole Litvak, vieux certes, inspiré du roman du même nom de Françoise Sagan et sorti en 1961. Une histoire très banale qui, au fond, manquerait d'intérêt si Ingrid Bergman ne jouait merveilleusement. Les dialogues possèdent  parfois la saveur de la vérité, en particulier une phrase qui semble banale à première vue : "J'ai rencontré une femme. Une vraie. Elle est gaie, elle est triste aussi." Une autre, moins belle : "La pire des condamnations: vivre seul et sans amour". Mais c'est un lieu commun.

http://www.dailymotion.com/video/xalcae




05/12/2017

L'homme sans ombre (38)

Il lui revient à la mémoire qu’au-delà de la compassion (karunâ) mise en avant par le bouddhisme, l’essentiel est bien l’amour (sanskrit maitrî), sentiment qui vise à procurer le bonheur à tous les êtres : « Que tous les êtres soient heureux ! Qu'ils soient en joie et en sûreté ! Toute chose qui est vivante, faible ou forte, longue, grande ou moyenne, courte ou petite, visible ou invisible, proche ou lointaine, née ou à naître, que tous ces êtres soient heureux ! Que nul ne déçoive un autre ni ne méprise aucun être si peu que ce soit ; que nul, par colère ou par haine, ne souhaite de mal à un autre. Ainsi qu'une mère au péril de sa vie surveille et protège son unique enfant, ainsi avec un esprit sans limites doit-on chérir toute chose vivante, aimer le monde en son entier, au-dessus, au-dessous et tout autour, sans limitation, avec une bonté bienveillante infinie. Étant debout ou marchant, assis ou couché, tant que l'on est éveillé, on doit cultiver cette pensée. Ceci est appelé la suprême manière de vivre[1]. » Il se souvient que l’homme est sur terre pour être heureux et que le rôle d’un véritable tulkou est bien sûr de faire vivre une communauté ou une école de méditation, mais surtout d’incarner la compassion et l’amour. Il prend conscience de cet oubli et de son acharnement à ne se pencher que sur la renaissance de la secte. Il a perdu la joie (muditâ). S’il n’y a pas de joie dans l’amour, il ne s’agit pas d’amour véritable. De même, s’il n’y a pas de liberté (upékshâ), il n’y a pas d’amour véritable. Quand on aime, on offre la liberté à celui ou à celle qu’on aime, une liberté tant extérieure dans le monde matériel qu’intérieure dans son être le plus profond[2].

 

[1] Suttanipâta, I, 8. Cité in Rahula, p. 125.

[2] Thich Nhat Hanh, l’amour veritable, in http://www.buddhaline.net/L-amour-veritable  

04/12/2017

Comment ?

Comment s’épousent mes angles droits
Avec tes courbes et tes douceurs ?

Comment encore peux-tu dormir sans douleur
Auprès du paillard ronflement des organes outranciers ?

Comment tes exclamations rafraîchissantes
Rivalisent-elles avec la profondeur de nos vitalités ?

Comment ton rire et ta joie de vivre
Se concilient-ils avec l’éclat de nos moqueries ?

Comment la tendresse envoûtante de ta nudité
Accepte-t-elle la gaillarde prétention de nos manifestes dressés ?

C’est un miracle bien léger, mais si débordant
Que chaque jour l’homme et la femme se retrouvent
Serrent ensemble leurs peines et leurs espoirs
Dans une félicité conjointe et revivifiante
Qui chante joyeusement l’amour et la filiation
Et contemplent du haut de leur union le mystère humain
Deux en un, divergents et pourtant étroitement emboîtés

 ©  Loup Francart