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05/02/2017

L’essence de Pierre Heurtebise de Praguilande (4)

Quelques semaines plus tard, Pierre Heurtebise sortit à la tombée de la nuit, évidemment un jour de pleine lune. Comme d’habitude, il partit le dos à l’éclairage lunaire. Très vite, il constata des changements dans la lumière de son ombre lumineuse. L’éclat se modifiait, elle apparaissait tantôt éclatante, tantôt amoindrie à un point tel qu’il devait prendre soin de conserver sa direction. Elle devint également floue. Ce n’était plus l’ombre aux contours bien nets, mais une sorte de halo brouillé qui se confondait parfois avec la végétation. Il se frotta les yeux, mais rien n’y fit. Une sorte de voile blanc s’interfaçait entre le monde et lui. Ce n’était qu’intermittent, mais suffisamment dérangeant pour qu’il s’interrogeât sur ces transformations. Deviendrais-je aveugle ? se demanda-t-il. En fait, il ne commença à réellement s’inquiéter que lorsque ces sortes de nuages dans la vue lui arrivèrent pendant la journée. Il avait pris l’habitude de dormir à la lumière du jour pour être totalement disponible pendant les nuits et particulièrement pendant les nuits de pleine lune.

Mais la vie extérieure continuait et certaines obligations le contraignaient à être actif le jour. C’était le cas les jours de marché de la petite ville voisine où il devait se ravitailler pour une semaine. Il partait alors avec un garçon d’une douzaine d’années traînant sa brouette et quelques légumes qu’il cultivait espérant les vendre et ramenait tout ce qu’il ne pouvait produire lui-même. Lorsque le soleil tapait fortement sur ses yeux, le voile blanc apparaissait par moments. Il continuait à voir ce qu’il regardait, mais le paysage prenait une blancheur inaccoutumée qui l’obligeait à mettre sa main en visière pour maintenir ses yeux à l’ombre. Alors le voile s’estompait et il retrouvait une vue normale, transparente pourrait-on dire. Cela l’inquiéta. Son mal à la jambe le gênait déjà considérablement. Si de plus il devenait aveugle, comment ferait-il pour continuer à vivre normalement ?

Bref, ce jour-là ce ne fut pas un voile blanc qui apparut, mais un changement de direction de cette ombre lumineuse alors qu’il ne changeait lui-même aucunement de sa direction initiale. Ce fut d’abord léger. L’ombre partit vers la droite. Il s’arrêta, la regarda, se retourna pour constater que la lune n’avait pas changé de place et qu’elle accomplissait sa révolution dans le ciel de manière tout à fait ordinaire, comme une mécanique bien réglée et sans initiative. Comment l’ombre lumineuse qu’elle projetait grâce à son corps pouvait-elle changer de direction alors que sa source de lumière ne bougeait pas ? Quelques instants plus tard, en une seconde, tout redevint normal. Il reprit ses pas sans qu’aucune modification  de la direction de son ombre ne se remarque. Au retour, alors qu’il avait son ombre derrière lui, il se retourna plusieurs fois pour vérifier sa direction. A un moment donné, il perçut à nouveau un angle suffisamment différencié de sa direction normale pour qu’il en soit parfaitement conscient. Mais qu’est-ce donc que cette anomalie ? se demanda-t-il.

04/02/2017

My heart's in the highlands, d’ Arvo Pärt

https://www.youtube.com/watch?v=x3Y77YHGakQ


« Hors des Highlands, je ne suis plus », semble nous dire le poème. C’est le regret des grands espaces, de ce vide immense où l’œil se perd dans les monts et les vallées et cherche toujours à aller plus loin. Puis, progressivement, ces espaces deviennent plus larges. Le regard passe des montagnes à l’horizon et, enfin, au ciel noyé de gris.

Une pièce typique du style d’Arvo Pärt : simple, répétitive, dans ce qu’il appelle le tintinnabulisme, de la musique pure, sans fioriture, qui s’adresse à l’émotion, aux sensations, sans appui sur la raison.

La pièce est un poème écrit par l’écossais Robert Burns ((1759-1796) qui explique que ce poème a résonné en lui tout au long de sa vie.

 

03/02/2017

Présence

 Dieu est un vide qui emplit tout

Où le trouver ?

Si tu n'es rien, il vient

 

02/02/2017

L’essence de Pierre Heurtebise de Praguilande (3)

Alors il se souvint qu’il réfléchissait à l’essence de l’être qui, disaient certains philosophes, était l’être réel et non celui d’une existence qui aurait pu être autre ou qui pourrait devenir autre. Il avait devant lui son essence alors que son corps ne représentait que son existence. Mais pourtant… Cette ombre lumineuse ne pouvait être décrite plus avant. Ce n’était qu’une ombre, certes lumineuse, mais qui ne représentait qu’une image de lui-même. Ou… peut-être était-elle à l’origine de sa silhouette, laquelle n’était elle-même qu’un contour de son être ou de ce qu’il croyait être son être ? Quelle chose extraordinaire, pensa-t-il. Je suis maintenant pourvu d’une essence que je ne connaissais pas et qui, d’après ce qu’en disent les savants, est la source de l’être. Il s’assit sur un talus et resta là, réfléchissant sans savoir exactement à quoi.

La fin de la nuit était proche lorsqu’il se rendit compte que son ombre lumineuse avait tourné, suivant les rayons de la lune, et qu’elle disparaissait. Plus rien ! Il ne lui restait plus que son existence, faible et infirme. Il se tâta. Il était semblable à ce qu’il était d’ordinaire. En rentrant péniblement, s’aidant de ses béquilles, il se sentit las, avait la tête embrouillée et le cœur malheureux. Il finit par penser en arrivant chez lui qu’il avait rêvé, que ce rêve était absurde et que l’existence continuait comme auparavant, ni très gaie, ni très triste, à l’image du paysage qu’il avait contemplé durant la nuit.

Il se coucha et commença donc son existence nouvelle : dormir le jour, être la nuit ; exister dans le sommeil, vivre dans l’éveil de son essence. En réalité, il ne vivait pas toutes les nuits. En effet, ce n’était possible que lorsque la pleine lune se déplaçait dans le ciel. Les lunes non pleines n’étaient pas suffisamment puissantes pour éveiller son essence qui continuait à sommeiller malgré tous ses efforts. Ces jours-là, les moments de découragement se succédaient. Il ne vivait qu’avec la moitié de lui-même et se sentait vide. Parfois, pour se remplir, il mangeait plus que de raison. Il descendait dans la cuisine, y préparait deux œufs sur une tranche de lard grillé, l’accompagnait d’un peu de fromage cuit et lapait jusqu’à la dernière trace de ce mélange jaune-orange dans le fond de l’assiette. Mais rien n’y faisait : coupé en deux sur le fil du rasoir, il errait dans sa maison sans avoir le courage de sortir au grand jour. Le retour de la pleine lune le rendait gaillard. Il se faisait beau, changeait de vêtements, soignait la raie de sa chevelure, se mettait un peu de rouge sur les joues. Puis, il sortait avec ses béquilles, au lever de la lune. Sur le pas de sa porte, il la contemplait, bien ronde, dodue, tachetée d’ombres et de lumière comme un visage humain. Il savait précisément à quel endroit elle se levait ; entre deux grands arbres. Elle se laissait glisser derrière le second comme un fantôme jusqu’à apparaître entière, dédaigneuse et splendide. Oui, elle mérite bien ce surnom de reine des ombres qui sera utilisé plus tard par Lamartine en périphrase pour la désigner. Mais ce dernier ne connut jamais l’aventure de Pierre Heurtebise : voir l’essence dans une ombre lumineuse lorsque la pleine lune est levée. Ce dernier n’eut jamais, d’ailleurs, une impression de privilège. Cela lui sembla naturel, comme la naissance d’une fleur au printemps.

01/02/2017

Espace

Les bords froissés de la fenêtre
Tracent leurs courbes dans l’espace

Ils réveillent en chacun le parfum
Des matins d’automne endoloris
Quand l’haleine glacée de l’océan
Se glisse sous votre dos et chante
La fin de l’extase dans la nuit

Dorénavant, l’ombre des caresses
Accompagne le héros qui sort
Vêtu de gris, sans entrain
Pour se laisser mourir gentiment
Dans l’air diaphane de l’aube
Quand apparaissent les premiers rayons

La nuit n’est pas le jour
Le matin n’est pas le soir
La lumière n’est pas l’obscurité
Il y a une ambiance délétère
Sans pouvoir sur l’artiste
Qui se noie dans la brume
Et s’estompe le jour

Mais pendant ce temps
Se déploie la rencontre
Sur le fil de la volonté
Entre l’existence et l’essence
Là où rien ne vient maquiller
La franchise de l’être

Nous ne sommes plus
Seul vit en moi et en toi
Ce gouffre inimaginable
Qui nous fait plonger
Dans l’inconnu chaleureux
D’absence d’être…    

 

 ©  Loup Francart

31/01/2017

La bienveillance

Qu’est-ce que la bienveillance. Pour le dictionnaire Larousse, c’est la disposition d'esprit inclinant à la compréhension, à l'indulgence envers autrui. Pour le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, la bienveillance est une disposition généreuse à l'égard de l'humanité (la bienveillance comme vertu ou comme comportement général) ou une disposition particulièrement favorable à l’égard de quelqu’un (la bienveillance comme attitude concrète dans les relations d’une personne avec une autre).

En ce temps compulsif de critique de l’autre (le candidat à la présidence) et des autres (ceux qui ne pensent pas comme soi), il est bon de réfléchir au sens de ce mot sympathique, mais oublié. Alors penchons-nous sur son étymologie, bene volens : avoir le désir du bien, souhaiter le bien. On remarque tout de suite que l’étymologie ne parle pas d’autrui, n’est pas tournée vers quelqu’un. La bienveillance ne veut qu’une chose : le bien. Qu’est-ce que le bien ? Ce qui s’oppose au mal. C’est un choix purement humain qui signifie que chacun est libre et peut refuser un comportement déterminé qui s’impose à l’extérieur de lui. Le bien est l’acte par lequel l’homme fabrique le bien dans son quotidien. Quelle responsabilité !

Ainsi la bienveillance est au-delà de la simple sympathie ou empathie envers quelqu’un. Par l’attitude qu’elle incarne, elle fabrique le bien, le protège, veille sur lui. C’est cela son sens réel : veiller au bien. La "bien-veillance" ne s’applique pas seulement à une personne. Elle s’applique également à la société en général,  aux êtres vivants en général, à la nature, à l’environnement, etc.

La bienveillance commence donc par l’adoption d’un nouveau regard : tenter de comprendre plutôt que de critiquer, accueillir avec bienveillance plutôt que de rejeter. Ah, là, c’est dur ! C’est un véritable apprentissage ! Il ne s’agit plus de veiller sur quelqu’un que nous connaissons, avec lequel nous avons des affinités, mais de veiller sur un autre, inconnu, et également sur soi-même, les autres, l’humanité, les êtres vivants, la nature, et, mieux encore, de veiller au bien en général, c’est-à-dire à une aspiration vers une autre vision des choses qui ne vise qu’un but, l’association du bon, du beau, de la vérité grâce au bien.

30/01/2017

Aspiration

L’homme se voit toujours sur les hauteurs

Mais il a besoin de la fange pour y respirer

Telle est sa nature et il n’y peut pas grand-chose

Sinon se laisser porter par son aspiration

 

 ©  Loup Francart