21/01/2018
La bise ou une poignée de main
C’est devenu une obligation. Je ne la connais pas et elle ne me connait pas. Un ami commun l’accompagne. Nous nous saluons, elle ne me tend pas la main, mais se penche vers moi, décontractée. Que faire ? Eh bien, j’en fais autant, car que faire d’autre ? Elle ne voit pas ma main tendue, la légère réticence à me pencher et à approcher ma joue de la sienne, malgré sa gentillesse et sa beauté.
Wikipédia nous dit qu’il peut s’agir d’un comportement social (une bise, voire un baise-main), affectueux (un baiser) ou amoureux (un bécot, une embrassade, une étreinte). Certes, il nous explique que c’est un signe d’affection. Mais peut-on avoir de l’affection pour quelqu’un que l’on connaît peu, voire pas du tout, ou, inversement, peut-on n’avoir que de l’affection pour quelqu’un que l’on aime et que l’on désire ?
Ne parlons que de l’aspect social du baiser à l’opposé de la poignée de main traditionnelle en Europe, donc en France. Il y a encore peu (trente, voire cinquante ans), il ne venait à l’idée de personne de se donner un baiser au lieu de se serrer la main. Seuls les membres de la famille proche et les amis intimes s’embrassaient au lieu de se tendre la main. C’était effectivement un signe d’affection chaleureuse et non une règle de bienséance sociale. Les vingt ou trente dernières années ont vu proliférer les bisous et les signes de reconnaissance exagérés, entraînés par une jeunesse exubérante qui impose sa marque à la société. C’est ainsi, vous devez embrasser quiconque se présente à vous, connu ou inconnu, les femmes devant embrasser tout le monde, homme et femme, les hommes, dans la plupart des cas, s’épargnant d’embrasser les autres hommes. Mais cela arrive aussi. Quelle étrange coutume ! Et encore, nous n’épiloguons pas sur le nombre de baisers qu’il convient de donner, ni sur quelle joue il convient de commencer.
Tout ceci cependant n’explique nullement ce changement social et psychologique survenu au cours des cinquante dernières années (soyons large). Alors, plutôt que de chercher dans les coutumes et l’histoire le pourquoi du quoi, interrogeons-nous sur ce que nous ressentons nous-mêmes en agissant ainsi. Alors j’ai lu quelques commentaires, sur Internet bien sûr, concernant la question. Certes, une bonne partie de la jeunesse est pour, mais un certain nombre sont contre, ils préfèrent se taper dessus les poings fermés, cela fait plus virils entre hommes. Pour les femmes, il existe d’autres rites plus ou moins locaux. La journaliste écrivant cet article finissait en soulevant l’idée d’un paradoxe d’une époque ultra sexuée qui en a trop vu, trop touché et qui réclame de la distance.
Mais entrons plus avant dans le sujet. Tous nous avons notre quant à soi ou notre pré carré, c’est-à-dire une barrière qui délimite notre intimité. Se serrer la main n’atteint pas celle-ci. Mais j’entre dans l’intimité de quelqu’un en l’embrassant. J’hume son parfum, je ressens la douceur de sa joue, je suis caressé par ses cheveux. Bref, j’entre dans sa bulle personnelle, celle qu’on ne dévoile qu’aux intimes aimés et aimables. C’est alors un signal fort au-delà d’une affection fictive et sociale qui ne veut rien dire et qui n’existe pas. A l’inverse du « Tout le monde il est beau, il est gentil ! », il s’agit de retisser des liens existant, de les entretenir, d’en amplifier la signification et de recréer une intimité perdue par l’éloignement. Il ne s’agit bien sûr pas d’intimité d’ordre amoureuse ou érotique, mais d’une intimité dépourvue d’intérêt, délibérément vertueuse au bon sens du terme.
Vouloir à tout prix forcer chacun à tel résultat est une gageure impossible, sans qu’il soit besoin de démonstration logique. Le baiser à tous, c’est une fausse bonne idée qui, contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, n’améliore en rien les rapports entre les femmes, entre les hommes et entre les femmes et les hommes.
07:06 Publié dans 11. Considérations diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bpnjout, oignée de main, bisous, embrassade, salut, bonjour, baiser | Imprimer
20/01/2018
Plus rien
Plus rien ne sera comme hier
C’était le temps d’un sourire
Volé aux lèvres des jeunes filles
Et échangé dans l’impatience
Plus rien ne sera comme l’été
Où la chaleur embrase le corps
Et donne aux pensées l’image
D’élan de tendresse collante
Plus rien ne sera comme au commencement
Quand le monde s’ouvrait sous nos yeux
Et caressait une mémoire vierge
Pour y déposer le tremblement de la vie
Plus rien ne sera comme demain
Tiens… Pourquoi ? Que sais-tu de demain ?
Demain sera le temps quiétiste
La panne sèche en plein désert
Mais rien ne pourra être comme la fin
En une nuit lointaine et chaste
Où l’abandon et la tendresse se côtoieront
Pour revivre en un éclair l’existence
© Loup Francart
07:41 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poésie, écriture, poème, littérature | Imprimer
19/01/2018
Le nombre manquant (32)
Le lendemain, Claire étant déjà partie pour la villa Borghèse comme nous en avions convenu la veille, je réfléchissais à cette rencontre avec le professeur. Certes, il nous avait expliqué ses recherches et celle de sa confrérie. Cela semblait clair, sans voile, si clair que cela pouvait être interprété de façon bizarre. Cet homme semblait cependant obsédé par une chose : détruire l’idée du zéro, c’est-à-dire du néant, par une autre idée, plus large, qui finalement niait le zéro. Cette obsession était-elle logique ? N’y avait-il pas une erreur dans la conception du zéro et cette erreur n’induisait-elle pas chez lui des conclusions totalement erronées quant à sa nature ? Malgré des dehors avenants et sincères, le professeur Mariani n’était-il pas en proie à une obsession qui pouvait le faire déraper à un moment ou à un autre ? Il convenait donc de se méfier, même si, apparemment, une confiance élémentaire pouvait lui être accordée. Ce n’est qu’après une explication sur sa conception du zéro et donc de l’orez, que nous pourrons statuer sur la poursuite de nos recherches avec sa confrérie ou non.
Je retrouvai Claire en fin d’après-midi, à la sortie de la villa Médicis. J’aimais me promener dans les jardins dessinés par le cardinal Scipione Borghese, puis remaniés au XIXe siècle dans le style anglais. J’affectionnais particulièrement le petit lac avec le temple d’Esculape, enchanteur au printemps. Ce fut pour nous l’occasion de parler de notre projet et de nous interroger sur la suite à donner. Je lui exposai les doutes que j’avais ressentis le matin même et elle approuva cette réticence à nous livrer complètement au professeur. Je lui parlai de notre difficulté à connaître sa véritable position sur le zéro et l’orez. Elle convînt qu’en raison de la façon dont il avait esquivé sa réponse, il était prudent de ne pas insister lourdement et qu’il fallait trouver un biais qui l’obligerait à se dévoiler, d’autant plus qu’il montait facilement sur ses grands chevaux dès qu’on abordait le sujet. Elle préconisa une approche indirecte qu’elle tenterait elle-même, face à face avec le maître le jour où elle sentirait qu’il serait d’humeur à se livrer.
– D’accord, mais ne tardez pas trop cependant ! lui répondis-je. Nous ne pouvons tergiverser trop longtemps sinon nous lui fournirons des arguments pour douter de nous.
Claire me sourit. Elle devait déjà penser à quelque chose, mais sans encore bien identifier ce qu’elle comptait faire. L’idée était là, mais il fallait la mettre en musique. Nous dûmes attendre plusieurs jours avant d’en savoir plus. Cette après-midi-là, le maître, car c’est bien ainsi qu’il était appelé, appela Claire et lui demanda de venir avec lui. Il portait une sacoche assez volumineuse qu’il ne lui confia pas bien qu’elle lui proposa de la porter. Prenant une voiture de la fondation, ils se plongèrent dans la circulation romaine, sortirent de Rome et se dirigèrent vers Castel Gandolfo. Après avoir contemplé brièvement le lac d’Albano, ils s’engouffrèrent dans une bâtisse impressionnante. Sans un mot ils furent accueillis par deux hommes assez jeunes, l’air imposant, vraisemblablement des gardes du corps, qui leur indiquèrent l’entrée d’une salle dont la porte était assez basse. Courbant la tête, malgré leur petite taille, ils y pénétrèrent en descendant quelques marches. Plusieurs hommes et femmes les attendaient assis autour d’une grande table éclairée par des bougies.
07:40 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nombre, numérotation, langage, universalisme, ésotérisme, science, spiritualité | Imprimer
18/01/2018
L'autre
Il était autre, un être inconnaissable
Qui saurait encore l’apercevoir
Lorsqu’il courrait entre les voitures
Évitant les roues et les bosses
Et qu’il levait parfois la tête
Humant l’odeur du vent d’automne
Il était autre, un être inconnaissable
Qui criait sa lourdeur d’homme de paille
Et pleurait la perte du contact brûlant
Avec cette peau pleinement douce
D’un bras de femme le soutenant
Et le hissant vers les hauteurs
Il était autre, un être inconnaissable
Qui s’enfermait volontairement à l’intérieur
D’un lui-même déchu et pantelant
Marchant sans but dans la ville
Couvrant d’un pas menu et étiré
Chaque rue connu ou inconnu
Il était autre, un être inconnaissable
Qui tentait de sortir de la pierre
Pour découvrir l’ouverture de l’horizon
Et courir à perdre haleine, hors du temps
La liberté retrouvée, jamais réellement perdue
Mais jamais accessible directement
Il était autre, un être inconnaissable
Qui finit enfin par se connaître
En franchissant la porte du désenvoûtement
Il se retourna, les cheveux dressés
Marchant sur la pointe des pieds
Fit un signe et s’envola, loin de tous
Il était autre, un être inconnaissable
Il devint un être inconsolable, autre
Double de ce qu’il avait été
Errant dans les plis du temps
Sans pouvoir jamais se réunir
Et enfin dormir sans inquiétude
© Loup Francart
07:22 Publié dans 42. Créations poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poème, écriture, poésie, littérature | Imprimer
17/01/2018
Le cimetière du Père Lachaise (2)
Des passages champêtres creusés à la charrue dans la verdure qui est pourtant rare à Paris:
Et même des visions montagnardes comme une coulée de lave dans l'exubérance du vert.
Toutes les époques sont représentées: le gothique
L'antique
les pleureuses
les gros bras
La sculpture impressionniste
alors ce monde miniature est bien la représentation d'un réel imaginaire, celui d'une éternité calme, mais pittoresque derrière laquelle se couche un soleil qui réchauffe les vielles âmes.
07:02 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : promenade, paris, cimetière, passé | Imprimer
16/01/2018
Le cimetière du Père Lachaise (1)
Entrée dans ce lieu étrange par une porte dérobée, au bout d’une ruelle bordée de petites maisons. Montée des escaliers gardés par une petite maisonnette de briques. Quel calme, malgré les promeneurs. Peu de bruits, les rayons du soleil rasent
les monuments disparates, les arbres s’élèvent entre les tombes, parfois même prennent racines sur elles. Le minéral devient humain sous la forme de pierres taillées sur lesquelles s’inscrivent un nom, une prière ou un éloge.
On plonge dans le passé, celui des guerres mondiales,
celui des luxueux logements des grands bourgeois du XXème siècle,
celui de familles entières entassées dans ces murs de maçonnerie, faisant face à l’éternité dans leur concession à perpétuité.
Combien sont émouvants ces figures qui ne subsistent que dans la mémoire intime de quelques parents encore vivants.
Alors, pour mieux marquer leurs présences, certains s’entourent d’œuvres d’art subtiles :
des bas-reliefs…
Des mosaïques…
08:33 Publié dans 14. Promenades | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paris, cimetière, passé, promenade | Imprimer
15/01/2018
Le nombre manquant (31)
Reprise du nombre manquant (voir le 19/05/2016), sans vous cacher que ce texte m'a demandé beaucoup de travail pour lui donner une certaine cohérence au regard des sujets scientifiques évoqués. Mais poursuivons l'aventure...
Je ne vous cache pas que nous avons des opposants, voire des ennemis. Il y a bien sûr les églises officielles qui estiment que ce genre de recherche est néfaste et doit être combattu. Il y a aussi les hommes de sciences qui, eux, estiment qu’ils sont les seuls autorisés à utiliser les résultats des études scientifiques et à tirer des conclusions. Mais je pense que vous connaissez cela aussi bien que moi. Nous nous sommes organisés en confrérie, car nous avons rassemblés de nombreuses personnes intéressées par notre projet. Je me charge de les trier, c’est-à-dire de leur faire passer une sorte d’examen de passage. Les épreuves portent sur leur moralité, et nous avons des indicateurs extérieurs qui nous renseignent sur leurs connaissances scientifiques et leur capacité à raisonner logiquement. Nous n’avons ni tabou ni doctrine et chacun peut entrevoir les solutions de manière différente.
– Oui, je l’ai constaté lors de votre réunion, dit Claire.
– N’est-ce pas !
– En fait, reprit le professeur, nous avions l’intention de vous contacter et de vous proposer des échanges d’information, peut-être même, une coopération qui pourrait être fructueuse pour nos deux camps. Je pense que vous avez dû arriver à la même conclusion ou presque.
– En effet. Je tiens cependant à vous dire que nous sommes peu nombreux et pas forcément très savants. Mais nous sommes passionnés et entêtés, prêts à travailler d’arrache-pied pour atteindre ce résultat qui pourrait donner un autre avenir à l’humanité.
– Dans ce cas, nous sommes faits pour nous entendre.
– Je dois seulement avant tout échange, en avertir le reste de notre groupe qui se trouve à Paris de façon à ce que nous puissions nous préparer à travailler en commun.
– C’est la moindre des choses. Eh bien, je pense que nous avons tout dit et que nous pouvons nous donner rendez-vous dans quelques jours, une fois que l’ensemble de votre groupe sera d’accord. Merci pour tout, cher ami, et à bientôt.
– Oui, merci également à vous, professeur, et au revoir.
Nous repartîmes avec Claire dans la rue, passant devant la fontaine de Trévise. Les pièces luisaient au fond de l’eau et chaque touriste en jetait une, immuablement. Quelle superstition !
Les choses semblaient simples et claires. Le professeur nous apportait son soutien avec son équipe plus étoffée que la nôtre, nous mettions à sa disposition notre base de données et nous établissions un programme commun de recherche.
Le soir même, nous téléphonâmes à Paris. Nous expliquâmes nos visions communes, la bonne volonté du professeur, l’intérêt d’une coopération. Cependant, Mathias posa la bonne question : « Mais que veut-il dire quand il remplace le mot zéro par le mot orez ? » Aussi surprenant que cela peut paraître, nous avions bien demandé des explications, mais, dans le feu de l’action, il avait subtilement esquivé la réponse. Nous avions oublié de la répéter et ne savions toujours pas quelles étaient ses raisons. Nous avouâmes notre oubli et Vincent, toujours méfiant, nous dit qu’il fallait à tout prix savoir ce qu’il en était avant de conclure quelques chose avec ce groupe. Ils parlèrent également de la question du devenir de Claire. Fallait-il qu’elle poursuive auprès du professeur son travail de secrétaire particulière ou devait-elle rompre et adopter une autre position et laquelle ? Nous nous regardâmes et nos pensées se rencontrèrent : oui, il fallait à tout prix qu’elle poursuive auprès de Mariani de façon à en savoir plus et à pouvoir le surveiller quotidiennement. Ils en convinrent, mais il l’essentiel était de savoir ce que le professeur entendait par orez.
09:04 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nombre, numérotation, langage, universalisme, ésotérisme, science, spiritualité | Imprimer