07/01/2016
La fin de l'histoire (9)
Il s’endormit serein, détendu et se réveilla dans la nuit noire. Il s’installa à l’entrée de la grotte et contempla les étoiles et l’ensemble du cosmos.
Les jours précédents il avait contemplé l’infini en lui-même. Il ne contenait rien et ce rien était devenu le tout et ce tout était vide et plein d’une promesse d’éternité. Il lui fallait maintenant effectuer la même démarche pour le cosmos. Ainsi, il pourrait conjuguer ensemble le moi et le monde, le toi et l’environnement. C’était cela cet homme nouveau dont il avait évoqué la veille l’existence. Il lui fallait assimiler le cosmos ou plutôt se laisser assimiler par le cosmos. Il se souvint d’un voyage de nuit, en voiture, dans son adolescence. Il était alors sensibilisé aux émotions qu’il pouvait ressentir et les vivaient comme des expériences passionnantes. Apercevant un coin de ciel dans lequel il repéra un amoncellement d’étoiles, il se soumit à une attention extraordinaire, lui donnant une vision de l’univers, de l’avenir de l’homme et de la plénitude du divin. C’était tout le souvenir qui lui restait, mais il ressentit un sentiment de grandeur infinie qui dépassait largement l’impression de petitesse de l’homme. L’homme est grand par sa puissance à saisir l’infini, à imaginer Dieu. Y a-t-il une étape suivante ? Serait-elle l’entrée en communication avec cet infini ? En fait, cette prétention à cerner l’univers était vaine. Comment répondre aux questions telles que l’univers est-il fini ou infini, est-il seul ou y a-t-il un multivers composé de plusieurs univers ? Il se souvint de la réflexion de Giordano Bruno[1] dans De Immenso, écrit en 1591 : « L’univers est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part ». Ce même Giordano Bruno qui croyait à la pluralité des mondes !
Il s’aperçut alors qu’il commençait à laisser son imagination prendre le dessus. Ce n’était plus une méditation sur le cosmos, mais l’affolement d’un cerveau qui ne saisissait pas cet infini qui nous entoure. Stop ! Il se leva, se remit dans son sac de couchage et se rendormit aussitôt. Il rêva et il ne pouvait contrôler son rêve. Face à cette immensité vide, il ne pouvait que se concentrer sur un point. Tout à coup celui-ci devint un immense tunnel qui l’attirait comme les grains matériels sont attirés par gravitation. Il se sentit prendre de la vitesse. Il était emmené non pas contre son gré, mais en toute conscience, jusqu’au moment où, prêt à entrer au-delà de la porte virtuelle, il se réveilla, transpirant, étouffant, au bord de l’asphyxie. Il reprit son souffle et s’étonna : comment trouver si je risque de mourir dès l’instant où j’approche de la vérité. L’univers restera-t-il toujours inconnu en raison de son infinitude ?
[1] Giordano Bruno (1548-1600) fut condamné par le tribunal de l’inquisition et mourut sur le bûcher à Rome.
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03/01/2016
La fin de l'histoire (8)
Pourtant, il l’avait vue cette lumière qui semblait invisible. Il l’avait fait naître de lui-même sans savoir comment. Elle l’avait éclairé, puis s’en était allée. Il eut l’impression de se réveiller. Etait-ce un cauchemar ou une percée vers un autre univers ? Plus de temps ni d’espace. La lumière crue d’une vérité cachée qu’il ne pouvait saisir. Juste un sentiment. Et encore ! Une sensation, une sorte de hoquet pénétrant cette terre aride et dénuée de personnages. Est-ce cela la liberté ? Il n’était qu’une enveloppe transparente. Rien dedans, rien dehors. Le corps et l’esprit vierge, Il entendait le lourd silence de l’absence. Délivrance ou prison, va savoir ! Il s’étendit à terre, ferma les yeux. Et la lumière intérieure revint, assourdissante. Cette nuit, pour la première fois, il dormit les yeux ouverts.
Encore un jour, un jour de folie. Il tenta de revenir à la normale. Quelle apparence avait-il ? Il prit son miroir de fer blanc, incassable, et se rasa. Tout à coup, une évidence s’empara de lui. Il n’avait pas pris sa pilule et pourtant son indicateur ne rougissait pas. Aucune lueur le dénonçant. Il se sourit à lui-même dans le miroir, hurla et laissa résonner dans le défilé ce cri de délivrance. Il n’avait pas eu à choisir. Cela était venu tout seul, sans même qu’il y pense. La liberté bien en chair, palpable, visible. « Je suis l’homme nouveau », pensa-t-il. Et cette pensée ralluma son indicateur, le plongeant dans le plus profond désespoir. Dans l’heure qui suivit, il prit conscience de la nécessité de maîtriser en permanence ses pensées. C’est parce qu’il s’était rendu compte qu’il devenait différent des autres qu’il était redevenu normal, c’est-à-dire dépendant du système de pensée de la société. Ne pas porter de jugement, ni même d’impressions sur ce qui lui advient, se dit-il. Surtout ne pas se croire ou se dire différent ! Il comprit également que cette immersion dans son environnement était nuisible à son indépendance. Il devait prendre du recul, se rappeler à lui-même en permanence pour rester autonome. C’est d’ailleurs pour cela qu’il avait choisi de s’enfoncer dans le désert. Mais même au sein d’une nature brute, il devait se souvenir qu’il était, lui, indépendant, autonome, réellement homme. Se souvenir en permanence de cette boule de fraicheur qu’il avait découverte au fond de sa gorge et qui irradiait à la fois son cerveau et ses poumons, créant un espace d’absolu qu’il n’avait jamais soupçonné.
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28/12/2015
La fin de l'histoire (7)
Ragaillardi par cette pensée, il se força à manger quelque chose, un petit rien pour subsister, et s’accorda une pause plus longue que prévue pendant laquelle il relut quelques pages du seul livre qu’il ait emporté : La révolution du silence.
Une heure plus tard, il reprit sa méditation. Il atteignit plus rapidement une certaine attention à ce qui se passait en lui. Il avait compris que l’essentiel était de ne pas se laisser envahir par n’importe quelle pensée. Pour cela il lui fallait un support de méditation, un sujet sur lequel il se ferait les dents et qui lui permettrait de ne pas dévier. Malgré de réelles tentatives, au bout de deux ou trois minutes, voire certaines fois plus de cinq minutes, il s’apercevait qu’il avait oublié pourquoi il était là et quel était son objectif. Alors il essaya ce qu’il avait lu dans le livre : se concentrer sur la respiration. C’était pratique et simple. Ralentir l’aspiration et l’expiration, sentir l’air passer dans le nez, le laisser nettoyer le cerveau avant qu’il ne descende dans la gorge, puis dans les poumons, s’arrêter enfin de respirer avant de chasser tout doucement l’air vicié en faisant le chemin en sens inverse. Et cela marchait. Il avait quelque chose à penser qui lui permettait de ne penser à rien. Quelle victoire ! Une demi-heure plus tard, il se sentit fatigué. Il avait besoin de respirer librement, à la va comme je te pousse. Il se leva, fit quelques pas, vit que le soleil descendait sur l’horizon. Il fera bientôt nuit, se dit-il. Allons courir ! Il enfila un short, mit ses chaussures de jogging et partit dans le défilé rocheux jusqu’à la plaine sablonneuse qui s’étalait devant lui. Il courrait sans penser à rien, n’écoutant que sa respiration bien rythmée, sentant ses jambes légères, regardant les étoiles qui s’allumaient progressivement. Il est temps que je songe à rentrer, se dit-il tout à coup. Il commence à faire froid. Aussitôt rentré, il se coucha et s’endormit rapidement, décontracté, sans souci, ayant oublié ce qui le tracassait.
Le lendemain, il reprit sa position de méditation et se posa la question de la vraie liberté en cherchant à résoudre le problème du paradoxe qui s’était imposé à lui la veille. Mais d’abord commencer par l’échauffement : s’attacher à une respiration non forcée, calme, réduite. Aujourd’hui cela allait mieux, l’air glissait en lui sans s’accrocher. Il se concentrait dans la gorge et la rafraichissait. Oui, il avait une sensation de fraicheur qui partait du conduit nasal jusqu’à la gorge, comme un fluide non liquide qui l’imprégnait de sa pureté, évacuant les obstacles et le rechargeait d’énergie. La respiration l’aidait à descendre en lui comme en un trou sans fin. Il participait à une sorte de ramonage qui partait du haut de la tête et atteignait enfin le plexus solaire. Ce ne lui fut pas perceptible au début, mais il se sentait bien, plus sûr de lui, délivré de ses préoccupations. Une idée s’imposa progressivement. Et si être libre, c’était ne plus avoir à choisir ? La survenue de choix dépend de l’environnement. Perdre son environnement, ses habitudes, ses pensées, ses émotions, c’est finalement perdre la multitude de choix que l’on s’impose en permanence. Si je n’ai plus rien, si je ne suis plus rien, je n’ai plus de choix à faire, je suis réellement libre, conclut-il. Il eut l’impression d’avoir franchi un grand pas et s’en réjouit. Mais peu à peu d’autres question se dressèrent, dont une qui le tarauda sérieusement. Si je n’ai plus tout ce qui constituait ma personnalité, je n’existe plus. Certes je vis, je respire, je mange et je défèque, mais qui suis-je ? Le grand vide de l’univers se dressait devant lui, redoutable. Mais dans le même temps, le rouge feu qu’il voyait devant ses yeux fermés s’éclaircit. Il vira au rose, puis à l’orange abricot, mandarine, aurore, puis au jaune et enfin devint blanc. Ce n’était pas une couleur, c’était la lumière pure que sa seule attention retenait en lui. Trop tard, elle était déjà partie ! Il la voyait, éclatante, puis plus rien, le noir ! Tout était à refaire.
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22/12/2015
La fin de l'histoire (6)
Ah, ça y est ! Il commence à divaguer et a perdu le fil de ses idées. Il ne pense plus à ce qu’il cherche, mais à son environnement. Peut-être doit-il se poser la question non pas de ce qu’il ne veut pas, mais de qu’il chercher. Par quoi remplacer ses pensées, qui se résument à ce qu’il ne veut pas penser ? Et puis, faut-il réellement remplacer une pensée par une autre, même personnelle ? Il n’en était pas sûr et il lui fallait approfondir. Au cours de cette soirée, il soupesa l’ensemble des questions contenant la première question. Pas de réponse. Rien que des questions et d’autres questions, puis encore d’autres. Dieu que c’est difficile ! Tiens, que vient faire Dieu dans tout cela ? Non pas le Dieu qui vous permet de vous intégrer sagement à la société, mais un dieu qui devrait aider à répondre à ces questions. Progressivement une confusion s’installa dans son esprit. Il n’arrivait plus à maîtriser les interrogations qui l’assaillaient, venant de toutes les directions et dans tous les domaines. Stop !
Il se leva, se dégourdit les jambes et sortit. Ouf ! Quelle chaleur ! Il eut l’impression d’être un morceau de viande fraiche que l’on met dans une poêle. Il rentra très vite, se coucha et s’endormit aussitôt, fatigué d’avoir trop pensé. Pourtant la méditation ne devrait pas fatiguer, se dit-il en se réveillant. Quel mystère et quelle idée de vouloir méditer ! Au fait, je n’ai pas encore répondu à la question « Pourquoi vouloir être libre et qu’est-ce que la liberté ? » Moi et le monde, pensa-t-il tout à coup. Oui, c’est bien le monde qui m’empêche d’être libre. Pas seulement les autres, mes condisciples, mais également mon environnement naturel et social. Cependant, sans le monde, sans son soutien indispensable, je ne serai pas. Alors si ce n’est le monde, c’est donc moi ! »
Ainsi, être libre, c’est être délivré de ses émotions, ses sentiments, ses pensées, ses attitudes, ses comportements qui emprisonnent. Oui, mais la liberté, c’est pouvoir choisir et si je n’ai plus tout cela pour choisir, comment vais-je faire ? Il y a là un véritable paradoxe : se délivrer de soi-même pour être libre, mais ne plus pouvoir choisir parce que l’on n’est plus rien. Impossible. Et pourtant c’est vrai, se dit-il. Tiens, mais au fond, je poursuis ma méditation sans m’en rendre compte. C’est peut-être la meilleure façon de méditer, le faire sans le savoir.
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17/12/2015
La fin de l'histoire (5)
Il se leva à quatre heures du matin et se fit chauffer de l’eau. Il prit un café soluble, se lava le visage et les dents et s’installa en posture de méditation. Il était pleinement réveillé et prêt à l’action. Oui, seulement le problème était que la méditation n’est pas l’action. C’est quasiment le contraire. Comment calmer ce grand corps qui ne demande qu’à bouger et s’exprimer ? Il fut très vite distrait par une araignée qui courrait sur ses vêtements, un moustique qui venait lui pomper un peu de sang, la chaleur qui commençait à poindre. Que faire ? Il s’interrogea. Il lui apparut que sa fuite était un peu inorganisée. Il aurait dû préparer ces journées en pensant à un emploi du temps très strict : réveil quatre heures (c’est pourtant bien ce qu’il avait fait aujourd’hui !), toilette et petit déjeuner (c’est également ce qu’il avait fait), méditation (oui, là aussi. Mais cela ne marchait pas). Donc, remplacer la méditation immédiate par un peu de sport pour apaiser son corps. Alors l’esprit pourra se mettre en route. Et puis, de toute façon, il vaut mieux faire du sport avant que le soleil ne commence à taper. Ensuite méditation jusqu’à midi. Manger et une petite sieste, puis reprise de la méditation jusqu’au soir. Une récréation : partir à la découverte de son environnement. Mais pas trop. Il ne faudrait pas faire de mauvaises rencontres et dévoiler son refuge. Ensuite, diner, coucher. Beau programme. Sans doute un peu ambitieux. Mais on va essayer de s’y tenir.
Le premier jour fut difficile. En fait, il n’avait que quelques connaissances livresques de la méditation. Il avait en effet amené avec lui La révolution du silence, de Krisnamurti, un vieux livre datant de 1970, qui décrivait comment méditer. Il n’avait jamais pratiqué ce genre d’exercice. Il comprit vite que chercher de prime abord à ne plus penser est vain et futile, voire impossible. Rien que le fait de se dire « Je ne veux pas penser », c’est déjà penser. Il lui vint l’idée que la première méditation devrait consister à chercher pourquoi il voulait méditer. Une réponse claire pourrait lui permettre d’aborder une deuxième étape : comment ? Sa journée fut un vrai champ de bataille. Ce n’est qu’en fin de ce premier jour qu’il sut pourquoi il voulait méditer. C’était sans doute dû au fait qu’il n’avait pas pris sa pilule le matin. Il voulait reprendre son autonomie, devenir libre, mieux même : penser en acteur indépendant sans être contraint de penser comme les autres. Mais pourquoi ? A quoi sert la liberté si l’on ne sait pas s’en servir ! Et puis, de quelle liberté s’agit-il ? Il est déjà libre puisqu’il est là, en plein désert sans personne pour l’empêcher de faire ce qu’il veut. Il avait un jour consulté Wikipédia, devenu le grand dictionnaire animé par l’ensemble de la population mondiale. L’ennui était que cette consultation n’avait pas répondu à son attente. La page ne parlait que de liberté dans la société liée aux droits fondamentaux de l’homme et à ses droits sociétaux. Elle évoquait également sur de nombreuses pages les libertés collectives (liberté d’association, d’information, de réunion, etc.). Elle n’évoquait jamais la notion de liberté personnelle. Sujet tabou sous peine de non-conformité. Circulez, y a rien à voir ! Il s’aperçut vite que la liberté n’est pas un bien que l’on acquiert comme on achète une maison ou une voiture. La liberté dépend de soi et de la manière personnelle d’aborder sa notion de liberté. Il n’y a pas une liberté, mais des êtres plus ou moins libres. Cette nuance dans la liberté est liée directement à la capacité d’autonomie de chacun non seulement vis-à-vis de la société, mais surtout vis-à-vis de lui-même. Donc, premier point : se débarrasser l’esprit de tout ce qui l’encombre et ne garder que ce qui lui semble fiable, venant de lui-même et non d’un apprentissage scolaire et sociétal.
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14/12/2015
La fin de l'histoire (4)
Le lendemain matin, ils partirent avec deux dromadaires, des dattes, de la viande séchée et quelques gourdes en peau, en plus du sac à dos de Nicéphore. Celui-ci n’avait bien sûr rien dit à Mohamed de la réalité de sa quête. Ce dernier ne parlait que quelques mots de français, mais Nicéphore disposait de sa machine à traduire instantanément. L’adolescent était bavard, drôle parfois, jamais à court d’idées. A certains moments il devenait soulant. Nicéphore, lorsqu’il était las de l’entendre, éteignait sa machine, ce qui faisait instantanément cesser le flot de paroles. Il sortait un livre et faisait semblant de travailler.
Les dromadaires marchèrent ainsi pendant une bonne partie du jour dans un paysage plat parsemé d’arbustes. Une chaleur étouffante, pas un souffle de vent, l’eau quasiment chaude à boire avec parcimonie. Nicéphore somnolait secoué par la lente cadence des pas de sa monture. En fin d’après-midi, Mohamed arrêta les bêtes, fit baraquer son dromadaire, se tourna vers la Macque et fit sa prière. Nicéphore en fut heureusement surpris. Ainsi donc, il y avait encore des contrées où il était possible de prier devant les autres sans que l’on vous emprisonne. Quel bon augure, pensa-t-il. Ils repartirent, marchèrent encore une heure et arrivèrent près d’un rebord granitiques ou s’entassaient d’énormes rochers, créant entre eux de petites grottes plus ou moins habitables.
– Nous y sommes, me dit Mohammed. Vous avez l’embarras du choix. Dites-moi seulement où vous installez et je repars aussitôt.
Fouillant un peu dans cet imbroglio minéral, Nicéphore finit par trouver une grotte suffisamment spacieuse et fraîche. Ils débarquèrent les vivres, l’eau et les autres objets qu’il avait apportés. Mohammed ajouta :
– il y a une source qui coule de la montagne. A cette époque de l’année, elle a encore de l’eau. Elle se trouve à cent mètres, dans la petite vallée que vous voyez d’ici. Je reviens dans quatre jours. Salam Aleikoum !
– Aleikoum Salam, lui répondit Nicéphore.
Il se retrouva seul dans ce désert de pierres, entouré de rares être vivants tels que des lézards, serpents, scorpions. Un silence impressionnant, presque surhumain. La grotte était fraîche. Il y ferait sans doute froid dans la nuit. Il avait emporté de quoi se vêtir et un sac de couchage renforcé. Il ne craignait rien. Il s’était promis de ne plus prendre la pilule. Jamais plus. C’était sa première résolution. La seconde était encore plus extraordinaire. Il méditera chaque jour pour trouver un but à sa vie, la sienne, pas celle de tous. Alors, pour bien marquer la seconde résolution, il s’installa face au paysage de pierres et s’immobilisa, assis en tailleur.
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10/12/2015
La fin de l'histoire (3)
Il y avait bien de temps à autre des manifestations de conscience individuelle qui différaient de la conscience collective. Mais les personnes qui tentaient de penser autrement étaient aussitôt prises de fièvres ou de nausées et ne pouvaient plus se nourrir correctement. C’était aujourd’hui le cas de Nicéphore et il n’arrivait pas à lutter contre ces symptômes révélateurs. Pour éviter une hospitalisation, il décida de partir loin de la civilisation. Il prit un billet d’avion pour Tombouctou où il espérait trouver une grotte lui permettant de vivre isolé de façon à éviter toute dénonciation. Certes, il n’était pas le premier à essayer cette stratégie de l’isolement. Mais il ne savait pas ce qu’étaient devenus les gens qui l’avaient tentée. Aujourd’hui, il risquerait lui-même cette manœuvre pour voir ce qui allait subvenir. C’était l’inconnu. Il voulait savoir de que signifie penser par soi-même d’une manière différente. Il n’avait pas conscience de se rebeller. Simplement, il voulait tenter l’expérience et avait préparé avec soin son sac à dos. Un duvet, un savon, deux gourdes en plastique, un rasoir et un tube de mousse à raser, une chemise et un pantalon de rechange, quelques sous-vêtements et une paire de chaussures qui compléterait celle qu’il avait aux pieds. Ah oui, également un traducteur automatique assez perfectionné qui traduisait instantanément d’une langue dans une autre avec une voix mécanique qui certes manquait d’élégance, mais permettait de converser facilement avec tout un chacun. Il avait pris soin de ne rien prendre qui puisse donner l’éveil aux policiers chargés de fouiller les voyageurs pour découvrir des objets compromettants.
– Monsieur, montrez-nous votre sac, s’il vous plaît.
– Voilà, dit-il.
– Qu’allez-vous faire à Tombouctou ? lui demanda un des policiers plus curieux.
– Je vais faire des recherches géologiques, c’est mon métier, répondit-il. Nicéphore avait en effet passé brillamment un doctorat de géologie et avait travaillé pour l’industrie pétrolière à la recherche de présence d’indices.
– Bien, passez Monsieur.
Nicéphore ne cherchait pas à tromper les policiers. Il disait la vérité et agissait de façon normale sans être véritablement conscient de ce qu’il faisait.
Atterrissant à Tombouctou, il chercha aussitôt un guide capable de l’emmener dans le désert et de l’aider à trouver une grotte pouvant l’abriter de la chaleur. Il rencontra Mohamed, un petit touareg au visage rieur, avec qui il conclut le marché. Il prit un peu de temps pour voir la grande mosquée, le plus grand monument en terre du monde, paraît-il, dans une ville également de terre et de ciment. Plus d’affrontements… La fin de l’histoire est également passée par là. Les religions existent encore, mais le prosélytisme est banni. Elles ont une fonction sociale et culturelle, voire, dans certains cas, psychologique, assez proche de la spiritualité. Celle-ci n’est pas interdite, mais elle n’est qu’individuelle, plus à des fins sanitaires que pour annoncer l’existence de Dieu et changer les êtres. Si chaque homme est libre d’une aventure religieuse, celle-ci ne peut être que dans un consensus social que tous agréent.
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03/12/2015
La fin de l'histoire (2)
Lorsque la loi avait paru, de nombreuses personnes avaient ouvertement contesté, manifestant devant le parlement mondial de manière pacifique tout d’abord, puis avec l’énergie du désespoir devant la force brutale des policiers. Tous avaient été arrêtés. On n’avait plus entendu parler d’eux et leur sort n’intéressa personne puisque tous prenaient la pilule. Lorsque Nicéphore était né, le système était en place depuis déjà dix ans. Les quelques soubresauts auxquels cette mise en place avait donné lieu étaient éteints. Tous prenaient la pilule et ceux qui ne pouvait la prendre parce qu’ils étaient malades étaient aussitôt hospitalisés. Comme il fallait une autorisation spéciale signée par un praticien pour mettre un masque cachant l’indicateur, il était quasiment impossible d’échapper au système. C’est ainsi que s’était instaurée « la fin de l’histoire ».
Celle-ci n’avait rien à voir avec l’article de Francis Fukuyama intitulé La fin de l’histoire, paru en 1989. Dans l’esprit de l’auteur, il ne s’agissait pas de la fin de l’histoire de l’humanité, mais simplement la fin des affrontements entre nations. La planète était conviée à « tendre vers un modèle unique, celui des démocraties libérales et de l’économie de marché ». L’article fut aussitôt remis en cause par Samuel Huntington, l’effondrement du système communiste n’impliquant pas la fin de l’idéologie comme force motrice de l’histoire. Ce fut d’ailleurs vérifié lors de la tentative des islamistes d’instaurer un califat au Moyen Orient.
Cette nouvelle « fin de l’histoire » était beaucoup plus subtile. Les historiens, ou plutôt les théoriciens des évolutions historiques, aidés par de psychologues et des médecins avaient mis au point une pilule ingérable supprimant la volonté individuelle. Ce n’était pas la suppression de toute volonté. Simplement le fait qu’individuellement on ne pouvait penser autrement que les autres. La volonté collective avait remplacé les volontés individuelles, mettant ainsi fin aux affrontements entre deux personnes, puis plusieurs personnes, puis deux nations, puis plusieurs nations, jusqu’à l’instauration d’une volonté collective universelle. Celle-ci avait alors grandement facilité la mise en place d'une gouvernance mondiale. Plus d’affrontement, plus d’histoire. La paix. Une paix durable, totale. Qui oserait aller contre. Impensable !
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29/11/2015
La fin de l'histoire (1)
Comme tous les jours, Nicéphore Pratoux prit sa pilule au moment de son petit déjeuner. C’était une obligation. Personne ne pouvait s’en passer. Depuis « la fin de l’histoire », le gouvernement mondial avait instauré cette nouvelle loi et mis en place un système de contrôle qui la rendait obligatoire. Nul ne pouvait transiger. Malgré de nombreuses recherches subventionnées par l’Etat, les chercheurs n’avaient pas réussi à trouver un moyen permettant de remplacer la pilule quotidienne. Par contre on identifiait immédiatement si la personne avait ou non pris sa pilule. Depuis la découverte d’André Bonnet, l’injection du signal lumineux sous la peau était obligatoire à l’âge d’un an. Celui-ci s’allumait si la dose contenue dans la pilule n’était pas ingérée. Comme l’ « indicateur », c’était ainsi que les gens l’appelait, se trouvait à hauteur du front, à l’endroit de la petite bosse artificielle créée par l’appareil miniaturisé, située un centimètre au-dessus des deux yeux, il était simple de voir si oui ou non la pilule avait été prise.
Cela faisait deux jours qu’il ne sentait pas bien. Il avait des sueurs glacées qui lui parcouraient le dos, des nausées à certains moments de la journée. Mais il ne voulait pas se déclarer malade. Cela l’aurait contraint à se faire soigner à l’hôpital et la cure pouvait durer plusieurs années. Il avait connu, lorsqu’il allait au lycée, une fille qui s’était déclarée malade au moment de sa puberté. Embarquée en ambulance, elle avait passé trois ans à l’hôpital. Lorsqu’elle était revenue, ses camarades ne l’avaient pas reconnue. Elle avait maigri, ses mains tremblaient et son élocution était ralentie à tel point qu’on n’avait pas envie de l’écouter. Ses parents avaient certes essayé de la récupérer plus tôt. Mais les médecins s’y étaient opposés. Elle était susceptible de faire une crise mettant en jeu l’ordre public et l’on serait alors obligé de l’euthanasier. Ils n’avaient pas insisté, sachant qu’ils risquaient eux aussi un séjour à l’hôpital. Ainsi, il n’y avait plus de malade au vrai sens du terme. Certes, il fallait toujours remplacer des organes chez ceux qui avaient des accidents internes ou externes, mais cela ne prenait que peu de temps et les patients ressortaient sains de corps et d’esprit le lendemain de l’opération.
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