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04/02/2019

Félix et la source invisible, d’Eric-Emmanuel Schmitt

–  Tu ne remarques pas que ta mère est morte ?

Ainsi commence l’épopée d’un gamin de douze ans qui veut retrouver sa mère. Il ne l’a pas perdu, elle est morte, c’est-à-dire en dépression. En bref, elle n’a plus goût à la vie. Alors Félix demande à l’oncle :

– Peut-on la soigner ?

– on guérit les vivants, pas les défunts.

– Alors, que fait-on ? Rien ?

– On la ressuscite !

(...) Pendant des années, Maman avait été vive, pétillante, curieuse, rayonnante, explosive, elle gazouillait d’une voix soyeuse, charnue, verte… Elle tenait le café de la rue Ramponneau, à Belleville, intitulé « Au boulot ». (…) Maman m’élevait seul, car elle m’avait conçu avec le Saint-Esprit. (…) Félicien Saint Esprit, mon géniteur, antillais, capitaine de bateau commercial, avait séjourné une semaine à Paris il y a treize ans…

Ainsi commence sur une trentaine de pages, le drame de Félix dont la verve et la gouaille introduisent le récit. Cela se poursuivra jusqu’à la fin du livre. Une multitude de personnages plus ou moins loufoques s’introduisent dans l’histoire : Madame Simone, une pute et un homme ou plutôt non, précise Félix, un homme et une pute, dans l’ordre chronologique ; Mademoiselle Tran, qui jouait le rôle d’une grande sœur au sourire constant ; Philippe Larousse, un timide de première, qui ne cherchait qu’une chose : connaître le dictionnaire par cœur ; note philosophe, Monsieur Sofronidès ; Monsieur Tchombé, le cancéreux guéri.

Des problèmes d’immobilier lui causant de profonds soucis, Maman allait mal. L’arrivée de l’oncle Bamba, averti par les occupants du café de la situation de Maman, bouleversa la donne : recherche de marabouts d’abord, puis, carrément, voyage au Sénégal et rencontre de Papa Loum, le féticheur. Elle guérit, seule ou avec l’aide de tous. Elle rentre à Paris, joyeuse, retrouve son café aux soins de Madame Simone, se laisse courtiser par le Saint Esprit. Chaque jour, elle pratique avec Félix l’« exercice d’Afrique » exigé par Papa Loum, car le monde se donne à ceux qui le contemplent, disait le féticheur. L’apparence n’est pas l’apparence de rien, plutôt l’apparence d’un univers dérobé. Ce soir-là, elle est comblée : Paris a l’apparence de l’Afrique. Papa Loum les avait avertis : L’Afrique c’est l’imagination sur Terre. L’Europe, c’est la raison sur Terre ; tu ne connaîtras le bonheur qu’en important les qualités de l’une dans l’autre.

On aime les récits d’Éric-Emmanuel Schmitt qui, sous des dehors simples, parfois simplistes, sait donner aux mystères humains l’apparence du quotidien, tel qu’il l’a déjà fait dans Oscar et la dame en rose, Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran.

23/01/2015

Timbuktu, un film d’Abderrahmane Sissako

C’est un film africain où tout se passe au ralenti. Le temps prend son temps, malgré les téléphones portables dont chacun est doté. Le réseau est fluctuant. Il couvre à certain moment et n’apporte aucune mauvaise ou bonne nouvelle à d’autres. C’est l’image d’une Afrique immémoriale qui n’a pas la même densité d’appréhension des événements. Mektoub…

Des paysages magnifiques, du sable dans lequel les pas s’enfoncent et se perdent, une vie familiale discrète, pleine de sérénité, qui, un jour, échappe à ceux qui la vivent. Le meurtre du pêcheur conduit cette famille à sa perte dans un enchaînement inéluctable où les djihadistes jouent leur rôle de censeurs moraux. Ils sont violents, mais ce sont en même temps des hommes indécis, des enfants sérieux qui obéissent à des règles qu’ils ne comprennent pas.

Le film est une succession de petites histoires dont le seul rapport entre elles est cette présence inquiétante des hommes portant une kalachnikov. Ainsi la poissonnière qui tend ses mains à la machette, ainsi la partie de foot sans ballon devant les djihadistes qui tournent en rond sur leur motos, ainsi encore le petit groupe de villageois qui chante le soir pour se distraire. Chaque conte a sa propre logique et met en évidence cette lutte entre la peur sourde que finissent par s’avouer Kidane et sa belle femme et l’indolence africaine faite d’acceptation devant la fatalité. Peu à peu on comprend où le réalisateur veut nous conduire : la fin d’une existence réglée par le soleil et la temporisation, remplacée par l’illogisme d’une idéologie religieuse qui enserre le quotidien sans cependant arriver à détruire les traditions et le bon sens des populations.

Certes, il y a des longueurs, des moments d’impatience, des instants de révolte de la part du spectateur. Mais nous n’avons pas la même appréhension de l’écoulement du temps. L’Afrique a sa logique que l’Europe ne peut comprendre.