Jeune fille, roman d’Anne Wiazemsky, Gallimard, 2007 (01/06/2012)
A sa lecture, je me suis étonné qu’Anne Wiazemsky ose écrire un livre qui met en scène un grand cinéaste, Robert Bresson, et un grand écrivain, François Mauriac, ainsi qu’un certain nombre d’autres personnages tels que Jean-Luc Godard ou encore Pierre Lazareff. On y découvre une jeune fille, presqu’une enfant, face à un Robert Bresson, attirant et tyran, qui la choisit pour le rôle principal dans son film « Au hasard Balthazar ». Il hésite, la fait parler, puis lire quelques pages du manuscrit, puis tente un essai cinématographique, pour, finalement, la choisir.
Je dus lire et relire la même scène des Anges du péché. Les indications claquaient, brèves et sèches ; « Pas de sentiment », « Plus vite », « Encore plus vite », « Ne pensez à rien ». L’homme assis en face de moi ne me lâchait pas des yeux. Il me donnait la réplique comme on joue au ping-pong, avec un automatisme parfaitement rodé. Je croyais en avoir fini ? Non, il fallait reprendre. Nos respirations s’étaient vite accordées. Laquelle s’était adapté au rythme de l’autre ? Peu importait. Ce qui comptait, c’était la relative facilité avec laquelle je me pliais à ses directives, hypnotisée par le débit monotone de sa voix, la puissance de son regard, le silence autour de nous.
Et le tournage commence, en été. Il la veut toujours à côté de lui, attentive à ce qu’il fait. Ils logent presqu’ensemble, chez un habitant du lieu. Et au cours de cet été, elle se prend un amant d’un jour, son premier jour de femme ; dans le même temps, elle se refuse au metteur en scène qui la traitait comme une petite fille ; enfin, elle découvre la vie, si différente de ce qu’elle connaissait. Bref, Anne sort de sa chrysalide, devient femme, avant de reprendre ses études en septembre. C’est ce rite initiatique, inconsciemment vécu, qui est décrit par Anne Wiazemsky.
Le roman parait juste, tout simplement parce qu’Anne a réellement joué le rôle et vécu ce qu’elle décrit. Elle est bien la petite-fille de l'écrivain François Mauriac. Sa carrière cinématographique commence bien en 1966 avec le rôle principal (avec l'âne) d'Au hasard Balthazar de Robert Bresson. Elle épouse bien Jean-Luc Godard le 21 juillet 1967 avec lequel elle tournera plusieurs films. Elle dépeint Robert Bresson comme un cinéaste exigeant, uniquement préoccupé de son film, mais aussi une sorte de séducteur qui tente de passer du rôle de parent protecteur à celui d’amoureux, voire d’amant, mais qui finit par y renoncer. L’histoire du film, on ne la connaît pas. Voici ce qu’en dit Robert Bresson : « Je voulais que l'âne traverse un certain nombre de groupes humains qui représentent les vices de l'humanité. Il fallait aussi, étant donné que la vie d'un âne est très égale, très sereine, trouver un mouvement, une montée dramatique. C'est à ce moment que j'ai pensé à une fille, à la fille qui se perd. »
Cependant, quelque chose m’interdit de dire que c’est un très bon livre comme beaucoup de critiques l’ont proclamé. Ils nous parlent de l’émoi de l’adolescence, et Anne Wiazemsky elle-même nous dit : « Pour prendre une image assez simple, c’est une espèce de chenille qui, au cours d’un été un peu particulier, se transformera en papillon – un cas assez banal. » Elle ajoute : « J’espère que c’est une jeune fille qui est assez représentative d’autres jeunes filles ».
C’est sans doute cette dernière affirmation qui me gêne. Son entrée dans l’âge adulte est pour ainsi dire unique. Elle la décrit sans réellement y inscrire le combat que vit chaque adolescent entre son enfance et la vie qui se profile, pleine d’incertitude. Elle n’a pas de doute, elle semble vivre cela comme le lui a appris Bresson, presqu’indifférente, sans sentiment, monocorde comme la voix exigée par le metteur en scène, à l’image de cet extrait du film :
http://www.dailymotion.com/video/x3rj9q_au-hasard-balthazar_shortfilms
Oui, c’est un livre atone malgré de nombreuses qualités : où est la foi de l’adolescence, quelles sont ses références ? Rien de tout ceci n’apparaît. L'histoire est sortie de son contexte. Le plat est bon, mais il manque un peu de sel. Cette jeune fille, même adolescente, est trop vieille.
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