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05/12/2015

La nuit de feu, d’Éric-Emmanuel Schmitt

« A vingt-huit ans, Éric-Emmanuel Schmitt entreprend une randonnée dans le grand sud algérien. Au cours de l’expédition, il perd de vue ses compagnons et s’égare dans l’immensité du Hoggar. Sans eau ni vivres durant la nuit glaciale du désert, il n’éprouve nulle peur mais sent au contraire se soulever en lui une force brulante. Poussière d’étoiles dans l’infini, le philosophe rationaliste voit s’ébranler toutes ses certitudes. Un sentiment de paix, de bonheur, d’éternité l’envahit. Ce feu, pourquoi ne pas le nommer Dieu ? » (Quatrième de couverture)

Un très beau livre qui révèle l’irruption de l’inconnu totalement autre à l’homme moderne qui15-12-04 La nuit de feu.jpg ne croit qu’en ce qu’il voit. L’auteur découvre l’infini en une impression plus forte que toutes les pensées apprises. En Europe, les intellectuels tolèrent la foi, mais la méprisent. La religion passe pour une résurgence du passé ; nier, c’est devenir moderne. (…) Un préjugé chasse l’autre. Jadis les gens croyaient parce qu’on les y incitait ; aujourd’hui ils doutent pour le même motif. Dans les deux cas, ils s’imaginent penser alors qu’ils répètent, qu’ils mâchouillent des opinions, des doctrines de masse, des convictions qui ne seraient peut-être pas les leurs s’ils réfléchissaient.

Au cours de ce voyage initiatique, il rencontre d’abord Abayghur, un touareg beau, élancé, magistralement vêtu de lin indigo, la tête ceinte d’un chèche blanc. Ses traits avaient été dessinés avec précision et distinction par la main inspirée de la nature, profil d’aigle, lèvres nettes, iris perçants, l’ensemble gravé sur une peau d’un brun calciné. Cet homme du désert n’est pas pressé à l’image de l’occidental. Il a le temps, le temps de l’éternité et de l’amour. Il passe devant celle qu’il aime sans un mot ni un regard sur elle. Et pourtant, tu es plus belle qu’un dattier chargé de fruits sucrés, plus touchante qu’une promesse de pluie, plus rayonnante que les cristaux de glace au cœur de l’hiver. Tous les hommes t’admirent. Tu es ma rose du Hoggar, la lune blanche, la fille de l’étoile, l’incomparable, l’uni que, ma montagne rose, mon amphore brune. Tu es la fille bleue.

Celui-ci, plus par son attitude que par un comportement ouvert, va le préparer à cette rencontre avec l’inconnu. Il passe en une nuit de l’angoisse, cette obsession de la pensée moderne, à la béatitude. Cette angoisse m’avait condamné à la solitude et l’arrogance, me propulsant comme seul pendant au milieu d’un univers qui ne pensait pas. A l’inverse de l’angoisse, la joie m’avait intégré au monde et mis en face de Dieu. La joie me conduisait à l’humilité. Grâce à elle, je ne me sentais plus isolé, étranger, mais fécondé, uni. La force qui tenait le Tout grouillait également en moi, j’incarnais l’un des maillons provisoires. Si l’angoisse m’avait fait trop grand, la joie m’avait ramené à de justes proportions : pas grand par moi-même, plutôt grand par la grandeur qui s’était déposée en moi. L’infini constituait le fond de mon esprit fini, comme un bol qui aurait contenu mon âme.

Et maintenant, il s’intéresse à la question de Dieu plutôt qu’à la réponse des hommes. Il ne veut pas être croyant ou athée, car ceux-ci se cramponnent à des solutions simples, croire, ne pas croire, montrant un appétit suspect d’opinions catégoriques. Ni l’un l’autre ne supportent le cheminement, le doute, l’interrogation. En affirmant leur choix, il ne voulait pas penser, mais en finir avec la pensée. Ils ne désiraient qu’une chose : se délivrer du questionnement. Un souffle de mort figeait leur esprit.

Sa conclusion : lorsqu’on a rencontré la sollicitation de l’invisible, on se débrouille avec ce cadeau. Le surprenant, dans une révélation, c’est que, malgré l’évidence éprouvée, on continue à être libre. Livre de ne pas voir ce qui s’est passé. Libre d’en produire une lecture réductrice. Libre de s’en détourner. Libre de l’oublier.