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29/12/2016

Mémorandum

Étonnant que je puisse oublier (...) le principe à partir duquel seulement l'on peut écrire des œuvres intéressantes, et les écrire bien. [...]

Il faut d’abord se décider en faveur de son esprit et de son propre goût. Il faut ensuite prendre le temps, et le courage, d’exprimer toute sa pensée à propos du sujet choisi (et non pas seulement retenir les expressions qui vous semblent brillantes ou caractéristiques). Il faut enfin tout dire simplement, en se fixant pour but non les charmes, mais la conviction. »

Francis Ponge, Le parti pris des choses, suivi de proèmes, NRF Gallimard, collection Poésie, p. 109

 

Ponge invente le « proème » (Proêmes, 1948), mot forgé par contamination de PRO(se) et de (po)ÈME, mais qui reprend en réalité à la poésie grecque le terme de prooimon (« ce qui vient avant le chant » : oimè), qui désigne le prélude des joueurs de lyre (Dictionnaire mondial des littératures, entrée : “Francis Ponge”, Larousse). De manière plus simple, on peut dire qu’un proème est la partie introductive d'une œuvre, d'un poème, d'une prière ou d'un discours.

Ce mémorandum, c’est ainsi que l’appelle Francis Ponge, est justement l’introduction de son recueil Proèmes, c’est-à-dire ce qui ne doit pas être oublié avant de lire le reste. C’est bien en cela que l’auteur avance « le principe à partir duquel seulement l’on peut écrire des œuvres intéressantes et les écrire bien ». Il exprime sa conception de l’écriture qui est avant tout la conviction et non la recherche du style. Ce que les éditeurs appellent style est une manière d’écrire dans la mode du moment. Ils pensent que si vous n’avez pas de style, c’est que vos écrits ne valent rien. Ce fut et c’est vrai pour de nombreux auteurs, tels, par exemple, Proust, refusé aux éditions Gallimard par André Gide et Jean Schlumberger en 1912. Il faut attendre l’évolution progressive de la pensée de l’élite pour que le nouveau style instauré par l’auteur devienne Le Style.

Francis Ponge nous livre ici le fond de sa pensée : peu importe le style, c’est-à-dire la brillance ou les caractéristiques de l’écriture, seule compte la conviction de l’écrit et donc de l’auteur. Cette conviction s’acquiert d’abord par le choix, libre de toute mode et de toute influence, de ce que l’on veut écrire. On ne peut bien écrire que sur un sujet qui passionne et sur lequel on a réfléchi longuement. Ce n’est pas le sujet du jour, c’est vrai, mais peu importe, c’est un sujet qui vous intéresse, sur lequel vous vous êtes penché et que vous avez approfondi en vous questionnant en vous-même sans chercher à dire ce qu’en pensent les autres ou, peut-être même, en dépassant la pensée des autres. Dans Proèmes, Francis Ponge nous livre sa pensée avec sa conviction : « comment écrire pour exprimer quelque chose, c’est-à-dire soi-même, sa propre volonté de vivre par exemple, de vivre tout entier, avec les sentiments nobles et purs qui existent en vous » (Ibid p. 191). L’écriture est donc un engagement hors des conventions pour que l’auteur en exprimant sa vérité intérieure puisse trouver sa liberté et son épanouissement (même si elles sont difficiles à faire éclore).

Ponge ajoute qu’il faut « tout dire simplement, en se fixant pour but non les charmes, mais la conviction ». Dire simplement, tel est le mot d’ordre, et non chercher à briller ou être dans le goût du jour. Simplement ne veut pas dire, je le suppose, de manière simple, comme tout un chacun. Mais avec ses propres mots, sa propre manière de voir, et non déguiser sa pensée dans le moule des pensées du moment. C’est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à faire : garder sa ligne de conduite, c’est-à-dire sa propre façon de voir plutôt que de la diluer dans le verbiage des autres.  Beaucoup objecteront, avec juste raison, que nombreux sont les auteurs qui ne réussissent pas parce qu’ils ne sont pas capables de produire un style agréable qui sied au lecteur du moment. C’est vrai. Mais le plus souvent, c’est plutôt par manque de réflexion et d’approfondissement que se produit ce dysfonctionnement entre l’auteur et le lecteur. L’auteur ne va pas au fond des choses. Le lecteur non plus. C’est l’échec. Le succès peut d’ailleurs ne venir que tard, même après la mort de l’auteur. On découvre ainsi des manuscrits qui se révèlent bons parce que le temps est passé sur les modes du moment.

Mais rassurons-nous, n’en est-il pas de même pour toute idée nouvelle, d’abord rejetée par sa nouveauté, puis adopter par quelques-uns, puis par tous, en oubliant d’ailleurs qui l’avait exprimé le premier ?

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