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16/03/2016

La fin de l'histoire (25)

Deux jours plus tard, les sans-abris lui parlèrent de gens qui habitaient sous la ville.

– Ils sont un peu fêlés, dit l’un d’eux. Ils ne se montrent pas au-dehors. Ils vivent toute l’année dans les boyaux des lignes de métro abandonnées et restent là sans rien faire, assis, les yeux fermés, sans bouger. Ils semblent heureux et même intelligents.

– Sont-ils nombreux ?

– Non, pas tellement, une trentaine, des hommes, mais aussi des femmes. Ils s’entendent bien, mais restent très indépendants les uns des autres. Ils ont tous une cicatrice au milieu du front, très visible. Une sorte de trou…

Nicéphore enregistra cette information qui lui parut être intéressante. Ainsi il y avait des gens qui vivaient hors de tout contrôle social, apparemment. Il semblait même ne plus porter d’indicateur. Peut-être les avaient-ils arrachés ? Il lui fallait trouver là où ils vivaient.

Le lendemain, il demanda à ces deux nouveaux amis de le conduire aux gens dont ils avaient parlé hier. L’un d’eux s’écria que jamais il ne dévoilerait cette cachette et que d’ailleurs il était incapable de retrouver le chemin qui y conduisait. Le second ne dit rien, mais, un peu plus tard, prit Nicéphore à part et lui dit qu’il lui montrerait les galeries où ils sont réfugiés.

Dans l’après-midi, il vint le trouver, lui dit de prendre son bagage et l’entraîna derrière lui. Ils marchèrent longuement, tantôt horizontalement, tantôt presque verticalement : escaliers, couloirs, portes, sans jamais rencontrer personne. Son compagnon ne disait rien. Il semblait savoir où aller, mais en était-il sûr ? Le silence était total. Aucun bruit de la ville ne leur parvenait. Parfois, on entendait l’écoulement des eaux dans les tuyaux ; d’autres fois, c’était le grincement d’une porte rouillée ou le piétinement des rats dans les couloirs. Seule, la lampe électrique que tenait son accompagnateur maintenait une illusion de vivant. Nicéphore était perdu. Il ne savait plus s’il se trouvait loin de la surface, loin du lieu d’où ils étaient partis. Enfin… Une dernière porte, puis la lumière. Ils étaient aveuglés. Elle était chaude, dorée et semblait diffuser le contentement, voire caresser le visage d’un souffle apaisant. Ils s’arrêtèrent, écoutant le silence qui avait mis de la tendresse dans son écho. Derrière une autre porte, ils devinaient des chants, doux comme le beurre sur une biscotte qui craque. Nicéphore eut envie de fuir. Quels étaient ces fous ? se demanda-t-il.

Ils entrèrent. La pièce était sombre, à peine éclairée par quelques bougies. Des hommes et des femmes étaient assis le long des murs, immobiles, silencieux, les yeux clos, en méditation. Ils n’étaient tournés vers rien, se faisaient face, et semblaient être concentrés sur le milieu de la salle. Mais celle-ci était vide. Quelle étrange réunion, se dit-il. Son accompagnateur avait disparu. Il était là, debout, hésitant, le cœur battant. Un des hommes lui fit signe de s’assoir à côté de lui. Il prit un coussin, s’assit en tailleur, redressa sa colonne, joignit les mains et ferma les yeux. Il se sentait bien. La surprise lui avait permis de faire le vide en lui-même. Aussi retrouva-t-il sans difficulté ce qu’il avait découvert dans le désert près de Tombouctou. Peu à peu, cette paix individuelle qu’il éprouvait rejoignit celle des autres. Il eut le sentiment qu’il entrait dans une nouvelle ère, plus électrique, plus chargé de minuscules vibrations qui entretenaient une sorte de courant entre eux. C’était imperceptible, mais néanmoins palpable. Ses poils se hérissaient et semblaient flotter dans l’air. Il se sentit léger, délivré même du souci de maintenir son indicateur éteint. Plusieurs fois, il faillit s’endormir, sa tête tomba sur sa poitrine, le contraignant à une attention soutenue.

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