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04/12/2020

La mue (6)

Je me réjouis de cette promesse qui me semble vitale. Je saurai à quoi me raccrocher, où trouver un soutien indispensable pour endurer ces épreuves, comment supporter la mue qui s’avérait plus compliquée à affronter. Joséphine est émue, deux larmes coulent sur ses joues. Je m’approche pour les embrasser et lui montrer ma reconnaissance, mais elle a un tel mouvement de recul que je n’ose plus bouger. Je fais semblant de n’avoir rien remarqué et continue de me pencher comme pour me gratter la jambe. Oui, elle me craint ! Elle a peur de moi maintenant que la mue a commencé.

– Dis-moi, penses-tu que je peux toujours aller travailler dans l’état où je me trouve ? lui demandai-je.

–  Je me le demandais aussi. Franchement, je ne crois pas. Il faut aller te déclarer, il n’y a pas d’autre solution.

Je m’habille, enfile un vieux pardessus, en relève le col, me passe un foulard autour du cou et pars à la mairie pour effectuer ma déclaration.  C’est très simple. On vous raye de l’état civil, un point c’est tout. En tant qu’animal, vous n’avez aucune protection sociale et encore moins droit à une aide sécuritaire. Il faut vous être préparé à votre nouvelle vie sans même savoir ce qu’elle sera. Cette préparation est forcément très générale, du style « Être toujours plus agressif que votre agresseur » ou encore « faire front, ne jamais fuir ». Malheureusement, de tels adages ont des limites que leurs adeptes comprennent un peu trop tard. Bref, je ressors de la mairie sans identité et même si j’ai encore plus ou moins l’air d’un être humain, je n’en ai plus la qualification sociale. Arrivé à l’appartement, de dépit, je me couche et quand Joséphine arrive, je ne me lève même pas. Elle doit m’amener mon repas qu’elle laisse par terre au pied du lit. Ce sont encore des graines de quinoa. Curieux ! Comment peut-elle savoir que cela me plairait à nouveau ? Je me lève et, irrésistiblement, me met à genoux, me penche sur l’assiette et commence à becqueter les grains un à un. J’en éparpille pas mal à côté. Mais peu importe, je me sens à l’aise pour une fois. On dirait que j’ai fait cela toute ma vie. Comme je suis repu, je me couche en boule sur la moquette et m’endors sereinement sans plus penser à Joséphine.

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