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06/09/2020

L'étrange bataille de San Pedro de Atacama (40)

Plongé dans ces pensées, le capitaine n’en oubliait pas moins les réflexes acquis. Tout d’abord, rendre compte à l’échelon supérieur, c’est-à-dire au Commandant du Groupement basé à Calama. Il rédigea le message qui fut confié à deux pigeons voyageurs. Celui-ci contait ce qui s’était passé, mais sans parler du marché concernant ses filles. Expliquant leur infériorité numérique, il demanda la mise en place d’un détachement supplémentaire et la constitution d’une réserve qui serait activé si les chiliens attaquaient. En deuxième lieu, rassurer ses hommes. Il songea bien à doubler les hommes de garde, mais si l’ennemi n’attaquait pas, il les épuiserait pour rien. Alors, il rassembla la compagnie, excepté les hommes de garde et les observateurs en place, et leur fit un discours expliquant que la situation n’avait pas changé, qu’ils devaient se tenir particulièrement sur leur garde et réagir au moindre mouvement suspect. « Ne vous laissez pas distraire par les ragots et les bobards racontés par les uns et les autres. Votre devoir est simple : rester disponible pour votre mission, en tout moment, en tout lieu et en toutes circonstances, même si celles-ci sont variables et difficiles à apprécier. Alors, bon courage à tous ! »

 

Et Emma, la femme du capitaine, qu’en pensait-elle ? C’est vrai, on l’avait oubliée. Emma est la caresse légère. Elle n’est pas la femme accaparante que l’on rencontre parfois dans les familles dites unies. Elle n’est pas non plus l’épouse qui cherche une satisfaction personnelle dans ses relations avec sa famille. Elle vit sa vie sans contrainte, sûre de ce qu’elle fait, sachant pourquoi elle le fait. Elle est tendre. Elle aime son mari qui le lui rend bien. Elle apporte la gentillesse à tous ceux qui fréquente sa famille. Elle est chaleureuse, affectueuse avec ses filles, sans aucune idée de possession. Vous pensez bien que ce marché la prit par surprise. Cette attention de chaque instant était-elle ce qu’ils attendaient dans ce maelström ? Comment faire pour surmonter un tel défi ? Qu’imaginer pour faire face à un tel piège ? Elle en resta sans voix parce que sans idée. Elle cherchait en elle la force de surmonter cette incapacité à entrevoir une solution. Cela ne l’empêchait pas d’éprouver des sentiments divers, même plus que d’habitude. Elle passa par plusieurs étapes. Tout d’abord le choc et le déni : ce n’est pas possible d’imaginer un tel marché qui contraint moralement plus fortement que la violence. Pendant une journée, elle ne put y croire. Puis, elle fut torturée de culpabilité : elle avait échoué dans l’éducation de ses enfants qu’elle n’avait su protéger d’une telle aventure en les laissant venir habiter avec eux dans ce bourg qui devenait un piège. La colère la gagna. Elle en voulut à tous, d’abord aux Chiliens qui menaient une guerre injuste et amorale, puis à son gouvernement qui n’avait pas la volonté et la force de résister et qui ne pensait qu’à l’accès à la mer, à l’armée, insuffisamment préparée et dans laquelle son mari était trop impliqué, à la population de la province d’Atacama qui se laissait vivre sans s’impliquer réellement dans la défense de leur sol. Enfin, ce matin, elle sort du brouillard de ses réactions et cherche à réfléchir, à comprendre et, éventuellement, à faire appel à d’autres pour trouver une solution.

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