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21/10/2019

Locédia, éphémère (30)

Le temps passait. Pourquoi cette flânerie esquissée ? Je m'obligeais à une quiétude apparente et m'interdisais de me hâter vers l'entrée du métropolitain. A son abord, les passants se faisaient plus denses. Je fus happé par une sorte de fleuve en furie. Les corps rembourrés des hommes et des femmes, projetés à droite et à gauche, semblaient attirés par une force invisible. Tantôt avalé, tantôt rejeté, je m'étais tant bien que mal trainé devant une cage de verre où évoluaient d'insolites monstres : des femmes tronçonnées dont le corps coupé à hauteur du nombril ou à la base de la boursouflure des seins, reposaient sur le comptoir comme un buste sur la cheminée d'un salon empire. Poussé par la foule, je défilais devant la cage de verre où une de ces femmes, d'un geste précis et sévère, avala de sa main ouverte les pièces que j'avais jetées tandis qu'un billet sortait de la gueule béante du comptoir argenté et froid. Le fleuve furieux des corps m'entrainait irrésistiblement. J'eus à peine le temps de voir le sens que je voulais prendre sur l'écran lumineux suivi d'une longue flèche aux formes tourmentées. Depuis la découverte de nouvelles lois relatives à l'orientation des corps dans l'espace, le mot direction avait été interdit par la Société des Sciences qui considérait comme anormale cette appellation du lieu où un individu est en instance de se rendre. Je me souviens encore du décret lu à la Voix Officielle et des transformations que cela avait entrainées dans la vie urbaine.

« La Société des Sciences et de ses Applications Morales décrète officiellement qu'à partir de ce jour, en vertu des récentes découvertes concernant la gestion des mouvements des corps dans l'espace métropolitain, il est interdit d'employer le vocable direction à propos des mouvements possibles du corps humain dus à l'aspiration spatiale du moment. En conséquence, seront punis d'une peine équivalente à un mois d'inaction forcée les contrevenants usant de ce vocable impropre. L'application de ce décret est confiée aux agents techniques de la Société des Sciences et des Applications Morales en relation avec la Police de la municipalité ciparsienne. »

Ce décret avait fait beaucoup de bruit, mais le bon sens des gens avait convenu qu'une direction ne pouvait avoir de sens, alors que deux sens pouvaient avoir une même direction.

On avait également découvert il y a plusieurs années que la principale perte de temps durant le trajet était due aux arrêts obligatoires à chaque station. Il fut décidé d'abolir ces arrêts. Comme il était néanmoins indispensable pour la bonne marche de l'entreprise que les clients montent dans le transporteur, celle-ci avait inauguré un système de tapis roulants progressifs, à étages accélérateurs pour être plus exact, qui permettait de monter dans le transporteur ralenti légèrement à l'abord de la station. A la suite de plusieurs essais, les ingénieurs s'étaient aperçus que les cobayes employés pour l'expérimentation, qu'on avait pris parmi les condamnés au peloton de cobayes, perdaient l'équilibre en raison de l'impression d'accélération qu'ils subissaient. Une étude approfondie révéla que le phénomène était psychique et dû uniquement au fait de voir défiler les murs à une vitesse toujours plus grande. Ils eurent alors recours à un trompe-l’œil utilisé jusque là dans les affiches et consistant à créer des bandes lumineuses mobiles sur un fond d'ampoules électriques. En faisant concorder la vitesse des bandes successives avec celle du tapis, ils annulèrent l'impression d'accélération puisque l'ensemble restait fixe par rapport au sujet transporté. Depuis, le système lumineux s'était perfectionné et il avait été possible de créer de véritables affiches.

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