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08/08/2019

Locédia, éphémère (15)

Départ ! Nous n’entendîmes pas le coup de feu, mais vîmes les élastiques bondir en l’air, surprenant un jockey trop près de la ligne de départ qui fut soulevé par le cou. Son cheval mécanique fit quelques embardées avant de s’arrêter tout seul. Deux ans auparavant un accident avait eu lieu, causant plusieurs morts dans la foule. Un cheval mécanique sans jockey avait sauté la barrière et s’était précipité sur l’esplanade devant les tribunes, projetant plusieurs personnes à terre et les piétinant. Depuis, chaque jockey est contraint de tenir une poire en bakélite et d’appuyer sur son bouton qui, s’il est lâché, engendre automatiquement l’arrêt. Le peloton se formait, haut en couleurs, comme un patchwork courant sur la pelouse et ondulant à chaque saut d’obstacle. Il approchait et nous voyions déjà la tête étincelante des premiers chevaux tenus fermement par leur cavalier. Approche d’un open-ditch, un grand canal suivi d’une haie haute et large dans laquelle plusieurs chevaux s’enfouirent jusqu’à la tête, agitant leurs maigres pattes dans le fouillis des genêts. Arrivée sur la rivière des tribunes, au maximum de la vitesse des chevaux, envol et retombée lourde de certains dans une eau trouble et électrisée, contraignant ceux-ci à lever toujours plus haut les jambes jusqu’à ce qu’ils s’écroulent en râlant, laissant leurs jockeys à terre, convulsifs et hors de course. Je te regardais, tendue, exaltée, criant à l’arrivée des obstacles, hurlant lorsque plusieurs chevaux étaient fauchés au moment de la réception sur le sol, riant également pour le pur-sang que tu avais choisi au départ de la course sur le papier, n’ayant pas eu l’occasion en raison de notre arrivée tardive, de voir les chevaux au rond. Celui-ci se maintenait en troisième ligne, le jockey le tenant à pleines mains, calé derrière les deux premiers pour que sa monture ne puisse voir le vide devant elle et partir sans possibilité d’être freinée. Le peloton passa devant nous, nous entendîmes le galop sourd des pattes d’acier, le souffle des jockeys qui retenaient leur monture, le cri des femmes émerveillées par la charge impressionnante de ces montures d’acier, se profilant avec noblesse sur la piste gazonnée, jusqu’à disparaître derrière le petit bois.

Nous ne sûmes ce qui se passa, mais à la sortie de ce masque, les chevaux semblaient plus lourds, moins agiles, et avaient changé de silhouette. Certains s’étaient chaussés de larges spatules jaunes leur permettant de disposer d’une meilleure stabilité dans le terrain très marécageux de la piste. Ceux qui, au contraire, s’étaient pourvus d’organes plus légers pour faciliter leur vitesse, semblaient maintenant en peine. Aussi, en face des tribunes, dans les boxes réservés à chaque écurie, les mécaniciens se préparaient à changer à nouveau les prothèses mal adaptées. Le plus souvent, les parieurs ne voyaient que frime et entourloupe dans cette importance extrême attachée aux prothèses de galop. Pourtant, cet objet de caoutchouc plus ou moins dur permettait à un cheval mécanique en moins bonne forme de gagner une course. Maintenant, les rôles étaient redistribués. Le deuxième passage devant les tribunes, avec un nouveau saut de la rivière, ne fit que rendre plus audible la contestation des parieurs qui ne comprenaient pas ces subtiles changements en vue d’une meilleure adhérence. Cette tempête rugissante de protestation fit plus ou moins peur aux chevaux mécaniques, jusqu’à les détourner de leur ligne et les guider vers un cul de sac souterrain. Seuls trois d’entre eux continuèrent sur la bonne piste prenant une avance considérable. Les autres mirent du temps à s’arrêter, se retourner, s’interroger, jusqu’à conclure de leur erreur. Leurs jockeys, éberlués, montraient des signes d’incompréhension, voire d’incompétence, jusqu’à ce que l’un d’eux s’élance en poussant un cri de rage : « Avanti ! ».

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