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23/06/2019

Locédia, éphémère (5)

Je repars. Mon corps est revêtu de filaments transparents et visqueux arrachés au caillou. Ils se prennent dans les plantes et je m'efforce de les distendre et les faire céder, laissant sur mon passage une trainée de toiles desséchées. Les cailloux ont repris de leur consistance conne si le fait de m’élever au dehors de la forêt et de gravir la montagne leur donnait le sens d’une pureté matérielle. Il n’y a pas un être vivant. Le silence plane sur la montagne. Comment ferai-je pour monter encore ? A chaque pas la roche devient plus effilée. On a dû y planter autrefois quelques lames de rasoir qui se sont reproduites, heureusement en dégénérant. Les filaments qui s’effilochent encore par endroit en se teintant de rouge, me protègent et s’épanouissent en arc-en-ciel sur la matière noire du sol. Aurai-je la force de continuer ?

J’aperçois maintenant le sommet, semblable à une lame durcie au feu. La roche se couvre de pustules rouges et orangées qui m’aident à prendre prise. Le sommet est là, détaché sur le ciel verdâtre. Seule une auréole plus claire, un peu laiteuse, atteste de la présence du soleil. Il ne suffit pas à réchauffer le sol, mais ses formes arrondies s’éclaircissent jusqu’à prendre une teinte ocre jaune. Il n’y a pas un souffle de vent, pas un bruit, pas une ombre. Les battements de mon cœur et mes halètements se répandent dans l’atmosphère. Mes mains tremblent. Mon corps est saupoudré d’une fine poussière ocre arrachée à la montagne dans mes efforts. Autour des plaies se sont formés de petits ourlets écarlates et mousseux où se dépose la poussière. Je ne peux plus avancer. J’épouse forme de la roche, elle m’aspire, m’engloutit.

Ta connaissance est derrière la montagne comme un livre ouvert, inscrite en toutes choses.

 

Il neige, tu es blanche. Mes lèvres s’imprègnent de ta froideur sans parvenir à t’atteindre, je te regarde, translucide, et mes bras se referment sur le vide. Tu es impalpable et présente.

_ Regardes-moi, suis-je belle ? Je veux que tu me désires. Je veux te séduire, disait-el1e d/une voix enjouée, la tête haute, les cheveux rejetés en arrière.

Mais je ne suis pas le seul que tu cherches à séduire, répondais-je sur un ton d’indifférence feinte, parce qu’au-delà de tes paroles se cachait une certaine vérité que je découvrais peu à peu. Séduire, elle ne pensait qu’à cela. Elle regardait les hommes jusqu’à ce qu’ils frémissent de désir et ce seul frémissement lui suffisait. Elle ne voulait rien de plus. J’ai cru, je le crois encore, car c’est aussi la vérité, que tu cherchais en moi autre chose, une partie de toi-même, peut-être ?

_ Je suis l'image du monde et le monde est séduisant. Je suis faite pour te séduire, proclamait-elle, une main sur le cœur, une autre tendue vers moi.

_ Je te désire, Locédia, déclamais-je à mon tour en entrant dans ce jeu que nous poursuivions souvent, n'osant pas affronter la réalité. Je désire ton corps, la chaleur de ton ventre, la douceur de tes chevilles.

Elle me tendait sa main que je baisais lentement en la regardant faire la révérence, puis elle se dégageait en animal craintif qu'on ne peut flatter trop longtemps.

_ Crois-tu que tu m’auras possédée si je te donne mon corps, continuait-elle sur un ton subitement grave en détournant la tête pour caresser un objet familier et cacher son trouble. Tu n'auras rien, qu'une femme morte entre les bras. Tu connaitras la douceur de ma peau, la forme de mon ventre, la courbe de mes seins, mais je te serai aussi inconnue qu'auparavant. Je te serai étrangère et tu seras un de ces hommes que j’ai accueilli par ennui. Tu ne me connais pas encore, tu ne sais rien de moi. Tu aimes l'image que tu t'es formé de moi et cette image est ton propre reflet. Mais je ne suis pas cette image.

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