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10/05/2015

Un couple insolite (7)

Sa première réaction fut :

  Ce n’est pas possible.

Elle ne pouvait croire à une histoire qui ne tenait pas debout. Ne pas pouvoir toucher sa femme ! Et, apparemment elle seule, puisqu’il l’avait touché sans aucune difficulté.

  Touchez-moi à nouveau, lui demanda-t-elle en tendant sa main.

Il lui prit la main, la caressa, remonta sur le bras, utilisa son autre main et fit de même. Il alla même jusqu’à lui caresser la joue. Oui, elle était bien là, vivante et pleine. Un sourire heureux s’était répandu sur son visage, une sorte d’extase primaire l’avait transformé : « Je suis normal », pensait-il. Il faillit le crier dans la salle du drugstore et s’arrêta au dernier moment.

  Vous m’avez rendu la vie, lui dit-il d’une voix pénétrante. Je vous invite à diner, ajouta-t-il. Venez.

Et il l’entraîna en la tenant par la main après avoir laissé quelques billets sur la table ronde.

Il l’emmena dans un luxueux restaurant et commanda, avant même qu’on leur apporte la carte, une bouteille de champagne.

  C’est trop, lui dit-elle.

  Non, si vous saviez ce que cela fait du bien de pouvoir toucher une femme ne serait-ce que du bout des doigts.

Elle n’osa pas poursuivre sur le sujet, ne le connaissant pas suffisamment. Elle comprit que cela l’avait beaucoup affecté, au point de l’amener à faire des expériences qu’il pourrait par la suite regretter. Elle changea donc habilement de sujet de conversation, vantant Paris et la douceur de vivre au printemps, la saison la plus parisienne (c’est bien ainsi qu’elle la dénomma). Ils commandèrent le repas, léger. Il lui reprit la main, la caressa, regardant cette rencontre entre deux peaux comme un événement unique, et elle ne pouvait s’empêcher de rire de cet air d’émerveillement qu’il avait. 

– Claire, lui dit-il, vous me rendez fou. Je voudrai vous serrer contre moi, embrasser vos yeux noirs, caresser vos cheveux d’ambre, sentir la naissance de votre cou.

Elle lui avait dit son prénom par inadvertance et il s’en était emparé, étonné de cette dénomination. Claire, si claire qu’elle était transparente, sans obscurité. Sans doute, pour cette raison, se méfiait-elle de son comportement parfois trop direct. Cela lui donnait un charme discret. « Je donne un peu, par inadvertance ; mais, je ne le fais pas ouvertement », pensait-elle.

Ils parlèrent beaucoup, de tout et de rien, comme deux amis heureux de se retrouver. Elle apprécia sa conversation, l’encouragea. Il admirait son aisance, naturelle et sans artifice. Ils dinèrent de bon appétit, sans cependant s’appesantir sur les plats. Il demanda l’addition, paya et ils sortirent dans l’air vif de la nuit. Il lui prit le bras et l’entraîna sans savoir où il allait. Ils marchèrent longuement, conversant, se serrant l’un contre l’autre, étroitement unis, mais se regardant encore comme deux êtres séparés par une inconnue, Isabelle, cette femme insaisissable qu’il ne pouvait toucher et qu’elle ne pouvait concevoir. Inconsciemment, il l’avait amené jusqu’à son hôtel. Surpris, il lui demanda si elle voulait monter prendre un verre, ayant remarqué que le petit frigidaire de chambre contenait alcools et jus de fruit.

– Pourquoi pas ? lui dit-elle.

Arrivé dans sa chambre, il lui servit un porto, prit un whisky. Tout en échangeant, ils s’assirent sur le lit. Il tenait sa main comme une preuve de sa normalité à laquelle il avait fini par ne plus croire. Il ne put s’empêcher de se rapprocher d’elle et de lui embrasser le cou, ce lieu de l’être où la bulle se referme dans une intimité ouvrant au monde des sens. Cela la réveilla. Gentiment, elle s’écarta progressivement, avec douceur, le regarda et lui dit :

– Il est temps que je rentre, j’ai beaucoup de travail demain et je dois me reposer. Merci pour cette délicieuse soirée, pour votre spontanéité franche. J’espère que vos difficultés avec Isabelle ne seront bientôt qu’un mauvais rêve et je forme des vœux pour votre couple.

Elle lui tendit la main. Il la prit doucement, posa ses lèvres sur le dos de ses doigts et la laissa partir. Elle avait bien conscience de ce qu’elle faisait. Elle savait qu’il regretterait sa présence. Mais elle ne voulait pas lui créer un autre problème alors que son avenir était ailleurs.

Il ne sut que penser de ce départ qui lui semblait précipité et volontaire. Il ne lui fit pas mal sur le moment, mais peu à peu s’insinuèrent en lui des reproches, sans qu’il sut dire lesquels exactement. Il se déshabilla, se coucha et s’endormit malgré tout sans difficulté.

Dans la nuit, il fit un rêve. Il vit deux anges fouillant des gravats à mains nues. Un diable s’approcha, vêtu de lumière rougeâtre. Il les écouta un moment, puis leur demanda : 

– Que faites-vous donc à remuer ces décombres ?

– Ce sont les trésors d’une vie.

– C’est fini, il n’y a rien, même pas un pet de lapin.  

Et il disparut à leurs yeux comme s’il n’avait jamais existé.

 

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