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15/03/2015

La grammaire est une chanson douce, d’Erik Orsenna

Est-ce une grammaire, un conte, un roman, on ne sait. Mais ce que l’on constate, c’est cette fraicheur délicieuse que procure sa lecture. Les mots s’aèrent et se trémoussent, cherchant leurs adjectifs, leur article et toute la panoplie d’une phrase jusqu’au verbe qui transforme le tableau en action vivante. Comme on est loin de ces grammairiens prétentieux et imbu d’un savoir mort et glacial qui encombrent les bans des écoles en tant que soi-disant pédagogues, pratiquant la médecine légale sans aucun discernement. Et Madame Jargonos me souriait : « – Bienvenue, ma petite. Bienvenue dans notre stage. Tu te rends compte de ta chance ? » Rien que des professeurs. Une classe entière de professeurs qui suivent  l’une de ces fameuses cures de soins pédagogiques. Et Madame Jargonos reprit sa leçon. Sa chanson incompréhensible (elle explique la fable le loup et l’agneau) : « … Dans cette phrase narrative finale, le manque (faim de S2) introduit dès le début comme déclencheur-complication, se trouve elliptiquement résolu. Vous avez des questions ? ».

Deux enfants font naufrage et échouent sur une île. Ils ne peuvent plus parler, sans doute sous le coup de l’émotion de la perte de leurs parents. Ils vont errer dans cette île avec Monsieur Henri, le poète et musicien, pour découvrir la vie des mots, les uns se rengorgeant comme « analyse d’urine », les autres dansant à la face du monde  comme « soutien-gorge », d’autres vivant cachés pour vivre heureux comme échauboulure (petite cloque rouge qui survient sur la peau pendant les chaleurs de l’été). On trouve des célibataires endurcis, des adverbes invariables qui ne s’accordent pas, des pronoms qui cherchent à emprunter la vie des autres.

Ils rencontrent quelques écrivains dans une usine : Saint-Ex. Ses phrases sont courtes : Il n’y eut qu’un éclair jaune près de sa cheville. Il ne cria pas. Il tomba doucement comme tombe un arbre. Ça ne fit même pas de bruit, à cause du sable. Marcel (Proust) : – Pourquoi tu fais des phrases si longues ? – Il y a des pêcheurs qui prennent des poissons de surface avec une ligne très courte et un seul hameçon. Mais pour d’autres poissons, les poissons des profondeurs, il faut des filets très très longs.

Cette promenade dans la ville des mots est emplie de poésie, de charme et d’humour. C’est parfois trop académicien, mais le naturel revient toujours au galop.

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