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09/02/2019

L'heure

Il y a des gens qui se targuent d’être toujours à l’heure. Ce sont généralement des craintifs qui arrivent au moins un quart d’heure en avance pour être certains d’être là au moment convenu. Pendant ce quart d’heure, ils tournent en rond, ne sachant que faire, sans cependant arriver à se préparer à ce qui les attend, plus occupé par l’heure que par l’objet même de la rencontre.

À l’opposé, il y a d’autres personnes qui ne peuvent, malgré toute leur bonne volonté, être à l’heure. Ils s’apprêtent en toute bonne foi, pensant au rendez-vous, se préparant même mentalement à cette rencontre, quelle qu’elle soit. Mais au dernier moment, il y a toujours quelque chose qui le retarde, un coup de fil, un mail à envoyer, l’oubli d’un mouchoir au fond de sa poche, un lacet qui lâche, l’arrivée d’un colporteur. Vous savez qu’il arrivera avec un quart de retard, jamais plus, mais également jamais moins. Vous pouvez avancer d'un quart d’heure le rendez-vous, il trouvera le moyen cette fois-ci d’avoir une demi-heure de décalage.

On trouve plus rarement les opposés extrêmes : tout d'abord, ceux qui vivent avec une montre dans le ventre. Cela se manifeste au moment du repas. Il est midi. À midi moins le quart, discrètement, ils manifestent une faim dont l’origine remonte à ce qu’ils ont fait dans la matinée. À midi moins dix, ils demandent où se laver les mains pour revenir à midi moins cinq en proclamant que cela sent bon près de la cuisine. S’il est maître de maison, il crie haut et fort à sa femme qu’il est temps de passer à table et il s’assied tout en discutant de façon à ce que chacun se sente obligé d’en faire autant. Ces gens-là ne peuvent supporter une minute de retard. Ils vont presque chercher le plat principal tellement la faim les tenaille. Mais une fois installés à table, ils négligent leur assiette et font la conversation.

Autre type d’extrêmes, ceux qui oublient carrément leur rendez-vous ou qui n’arrivent qu’avec une heure de décalage. « Tiens, j’étais persuadé que l’on s’était dit treize heures trente. Pardonnez-moi ! » Ils font comme si de rien n’était alors que les autres participants bouillent d’impatience, certains même prétextant une course urgente pour fuir ce rendez-vous manqué. Certes, ces personnages ne sont pas les premiers venus. Ils ont un emploi du temps de ministre, se restaurent avec un élastique et n’ont le plus souvent pas le temps de dire au revoir. « Vous savez ce que c’est, c’est le seul moment où j’ai pu obtenir un rendez-vous avec le président de la Chambre à coucher. La prochaine fois, promis, je resterai plus longuement. »

Car il y a en effet, des gens qui arrivent à l’heure comme tout un chacun, mais qui repartent toujours avant les autres. Ils ne préviennent pas et tout à coup ils se lèvent et disent : « Je dois partir. Il faut que je laisse ma voiture chez le garagiste, elle a un bruit bizarre et j’en ai besoin demain pour… » Vous ne savez jamais s’ils ont réellement quelque chose à faire ou s’ils partent parce qu’ils sont las de votre conversation.

On rencontre enfin, assez rarement cependant, des gens qui n’ont pas de montre, donc pas d’heures du tout. Ce sont généralement des bavards. Invité chez eux, vous n’en sortez pas. Ils ont toujours une anecdote qu’ils font durer une fois que vous vous êtes levé pour vous retirer. Ils vous entreprennent, vous mettent un autre verre dans la main et racontent la dernière du préfet ou la bévue de Madame Untel. Ceux-là sont bien partout où qu’ils soient, à condition de pouvoir parler. S’ils sont deux, la rencontre est délicate. Pour une fois, l’un d’eux part sans difficulté, il a trouvé plus bavard que lui.

L’heure, comme le temps, est un sujet de conversation intéressant. Seuls les gens normaux, qui sont à l’heure sans se poser de questions, ne s’intéressent pas à ce genre d’échange verbal. Mais sont-ils si nombreux que cela ?