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30/07/2020

L'escalier

Comme chaque nuit, après avoir pris un café, je remonte l’escalier dans le noir après avoir cherché mon chemin entre les meubles, m’efforçant de ne pas les toucher. J’aime trouver la trajectoire parfaite, comme si je voyais mon passage dans l’obscurité : éviter le fauteuil du bureau, le coin du billard qui rentre dans les côtes, les deux montants de la porte pénétrant dans l’entrée, puis la première marche de l’escalier qui monte au premier étage. Enfin, je touche le début de la rampe, qui m’indique que là commence la montée.

Ce matin, tout se passa comme chaque nuit, dans la rectitude de l’habitude. J’engageais le pied sur la première marche, puis la seconde, lorsque je me sentis sortir du connu de l’habitude. Je m’élevais hors de moi, montant sur le nuage de l’existence, franchissant chacune des marches avec aisance, tendu vers la marche finale et le passage sacré de la fin de la vie. Ce n’était pas désagréable, cela faisait partie d’un processus normal de désappropriation, d’un moment de logique dans la destinée. Au contraire, c’était un moment de libération sans aucune angoisse, un instant de connaissance qui élève l’âme au-delà des voies habituelles.

Je réalisais brusquement cet état suprême que chaque humain doit franchir à un moment ou un autre pour accéder à la connaissance de la réalité spirituelle : une apesanteur du corps et de l’âme qui flotte dans le contenu de son enveloppe et permet de saisir l’immensité du don divin, une montée joyeuse vers un autre moi-même libre de ses précautions et interrogations quotidiennes, une ivresse sans pareil, comme une aspiration vers le meilleur de l’être.

Tout cela s'accomplit dans l’obscurité, dans l’attention de ne pas tomber, de ne pas se prendre les pieds sur quelque objet ou quelque retenue d’émotions. Je franchis les dernières marches et posai un pied sur le palier lorsque tout cessa. Le cœur battant, j’avais contemplé la profondeur de la vie et le moment suprême de son achèvement, sans crainte, avec joie.