26/04/2020
L'étrange bataille de San Pedro de Atacama (12)
Brusquement, il commença son histoire d’une voix de théâtre, déclamant les mots de manière solennelle et prit une posture de comédien jouant une tragédie :
– Oyez, oyez, brave gens ! Cela s’est passé à deux pas d’ici, lors de la bataille de Socaire il y a quelques années. Les troupes chiliennes, qui avaient avancé à l’intérieur des terres, encerclaient déjà le village. La population s’était réfugiée dans son enceinte, terrorisée par l’armée chilienne qui tuait tout ce qu’elle trouvait. Dominé par les volcans Miscanti et Miñiques, le village était pauvre. L’eau était rationnée, alimenté par un seul ruisseau. A la fin novembre, on entrait dans l’été et la saison des orages n’était pas encore arrivée. La première chose que fit l’armée chilienne fut de couper l’alimentation en eau du ruisseau qui passait au travers du village. Elle fut détournée par un canal creusé par l’ensemble des hommes qui encerclaient le village. Trois jours plus tard, l’eau ne coulait plus. Ce que les Chiliens ne savaient pas, c’est qu’il existait une seconde arrivée d’eau qui était sous canalisation. Tant qu’ils auraient de l’eau arrivant par cette voie, ils pourraient survivre. Si elle venait à manquer, il leur faudrait soit se rendre, soit mourir. Le chef bolivien de la garnison, el tenante Romuald Paracuela, veillait sur la distribution en eau et faisait garder la sortie des canalisations par une sorte de poste de police d’une dizaine d’hommes. C’était un homme ambitieux, courageux certes, mais pensant en permanence à son avancement et à la manière de se faire valoir. Il était craint de ses hommes et de toute la population civile réfugiée dans le bourg.
– Le siège de Socaire commença, poursuivit le capitaine. Les troupes chiliennes n’attaquèrent pas le village, laissant la situation pourrir par la soif et la faim. Mais après quinze jours, elles se rendirent compte que les habitants vivaient bien et ne semblaient pas souffrir, ni de soif ni de faim. Alors leur chef envoya des patrouilles pour chercher d’éventuelles alimentations en eau. L’une d’elle découvrit l’entrée de la canalisation. Elle détourna l’eau qui se perdit dans le désert. Quelques habitants avaient fait des réserves. Celles-ci furent confisquées par Romuald Caracuela. Il ne restait au total que cinq jours d’approvisionnement pour l’ensemble des personnes vivant dans l’enceinte. Cela supposait un rationnement pour l’ensemble des familles. Que faire ?
Le capitaine Barruez s’arrêta, regarda les auditeurs, puis sa famille. Tous étaient suspendus à ses lèvres et lui-même dut faire un effort pour poursuivre tout aussi solennellement.
07:04 Publié dans 44. Livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bolivie, chili, désert, guerre | Imprimer
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