Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/10/2019

Locédia (29)

On avait recouvert le cours du fleuve le jour où la municipalité, devant la surpopulation des cimetières, avait décidé d'immerger les corps des moins riches. Le problème de la planification des cimetières l'avait longtemps préoccupée. Il devenait plus coûteux de loger les morts que d'entasser les vivants. Cependant les vivants se contentaient plus facilement que les morts ; ces derniers ont le grand désavantage de ne pouvoir se déplacer sans installations spéciales et onéreuses. On avait pensé à plusieurs étages souterrains, sortes de catacombes, mais les tentatives d'enfoncement des corps par forage échouèrent en raison de la dureté du sol. Un architecte avait alors suggéré d'immenses buildings à air conditionné munis de salles de repos pour les visiteurs, de salles de jeu pour les désœuvrés et d'un système spécial de surveillance des enfants avec œil électronique. Mais les habitants, après un référendum, avaient protesté contre l'édification d'un édifice de couleur noire et surtout contre les hublots des tombes, ouverts sur la ville. Ils s'étaient finalement contentés d'une solution intermédiaire, d'une conception agréable à l'œil et qui ne choquait pas l’idée conventionnelle qu'ils avaient des cimetières. Malheureusement la solution était insuffisante. Les morts qui déjà de leur vivant ne pouvaient se payer un toit, devaient se contenter d'être immergés, accrochés à une pierre tombale où leur nom était gravé. Le cimetière fluvial comme l'appelait avec un petit air de dégout la société établie de la ville, avait élu domicile en amont des faubourgs. Constitué d'une sorte de jetée avançant dans le cours du fleuve, il était décoré les jours d'enterrement de mâts sur lesquels flottaient des pavillons noirs. A l'entrée, un employé des pompes fluviales percevait quelques sous de ceux qui désiraient assister à l'immersion. Des difficultés commerciales avaient empêché son installation en aval, malgré les recommandations des experts de l'hygiène municipale. Le comité des mariniers avait décidé une grève illimitée si le projet aval était voté. Depuis nous nous promenons tranquillement sur les morts, l'âme en paix, approuvant la bienheureuse gestion des affaires de la ville. Parfois, la nuit, par temps clair, lorsque les gens sont enfermés dans leur appartement, on entend le roulement d'une pierre tombale poussée par le courant. On peut voir à la surface de l'eau quelques bulles irisées indiquant la présence des corps.

Les commentaires sont fermés.