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20/09/2019

Locédia, éphémère (23)

Chapitre 7

 

Locédia, nous avons vécu de merveilleuses heures dans la contemplation et la joie. Hors du temps nous fumes dévêtus de nos désirs et baignés de naïveté.

Quand tu lisais assise, un genou replié sous toi et que je regardais au-delà du sable de la dune l'étalement des eaux, tu riais de mes regards et te jetais sur moi à grands cris comme un jeune chien. Nous errions, de galet en galet, les pieds au bord de la frange houleuse des vagues. Je regarde maintenant mon personnage vieilli qui me rappelle certaines attitudes de mon père assis à son bureau. Je me vois dans le reflet de la fenêtre et je te vois, étendue sur le divan qui a conservé les mêmes rayures rouges et vertes, une jambe pendant dans le vide, rêveuse. Lorsque tu étais le reflet de mon rire, le miroir de ma tristesse, lorsque tes yeux cherchaient dans le vide des objets les plus secrètes pensées, je te contemplais et souriais à tes paroles. Tu croyais toujours que je me moquais de toi.

_ Au diable le sérieux, Locédia. Amusons-nous !

Nous avons visité des lieux perdus et d'autres lieux comme les caves de la réflexion où le promeneur s'enfonçait dans un labyrinthe de pensées. Une feuille perforée, préparée à l'avance par la machiniste de l'escalier qui accédait à la première cave, donnait le thème de la réflexion quand on l'introduisait dans la fente d'une des portières électroniques ouvrant sur les autres salles. Il n'y avait plus qu'à se laisser porter dans le labyrinthe. Ceux qui ne parvenaient pas à démêler les réflexions virtuelles renvoyées par les miroirs hyperboliques, des réflexions réelles qui permettaient de s'enfoncer un peu plus dans l'obscurité jusque vers la lumière, restaient plusieurs heures dans les caves. Ils étaient recueillis à la fin de la journée par le charriot balayeur qui nettoie les miroirs ternis par les pensées de certains clients. Distrait par ta présence à mes cotés, présence que je devinais, quand au terme d'une étape, tu posais doucement te main sur la manche de ma combinaison, je laissais échapper le fil de nos pensées et confondais les images. Avec angoisse nous reprenions en sens inverse le chemin des raisonnements pour trouver l'erreur à l'un des carrefours du labyrinthe.

Musée des hospices civils que nous avons connu également un soir de désœuvrement. Errance de chapiteaux et de cloitres voutés, l'odeur de la pénicilline mêlée à celle de la sueur. De vieilles femmes montaient ou descendaient les escaliers en portant des baquets remplis d'éponges et d'eau sale. Quelques malades en pantalon de laine brune étaient allongés paresseusement sur les bancs. L'apothicaire principal avait oublié ses lunettes et sortait de l'hospice. Musée de reliques vieillies, musée humain d'os et de chairs malades qui se nourrit de poussière et d'obscurité. A travers la grille sombre des fenêtres hautes parvenait le bruit de la ville, un bourdonnement continu entrecoupé de plaintes passives. Nous vîmes un malade emporté par la peste dans la chambre nue des contagieux. Une lampe pendait au plafond et projetait une lueur vacillante vers le lit de fer dont les barreaux mêlaient leur ombre à celle de la fenêtre grillagée. Là gisaient les morts en puissance, morts avent 1'agonie dans la chambre déserte des abandonnés.

 

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