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17/06/2019

Locédia, éphémère (3)

 

D’autres jardins abandonnés me hantent. Jardin de ta connaissance, terrain vague parsemé de plantes rougissantes dissimulant des fleurs d'une blancheur transparente. Agrippées aux cailloux boursouflés, elles dressaient leur corolle au-dessus des minéraux bleuis. Parfois l'une d'elles, ayant épuisé sa volonté à décolorer, s’affaissait à la grande joie des autres qui reprenaient quelques couleurs avant de s’évertuer à nouveau en vaine tentative de coquetterie. Les plantes grises poussaient également là pour contempler l’effort créateur des meilleures, mais elles n’avaient pu les récompenser, ces dernières étant en convalescence. Deux jeunes garçons, accroupis, servant de jardiniers, soignaient de leur zèle nourricier chacune des plantes sans distinction de beauté. Peut-être même préféraient-ils les plantes grises dans leur robe de pensionnaires. Les employés de la Beauté et de l’Ordre Public, diplômés d’Etat, en blouse blanche, une calotte brodée sur la tête, s’affairaient avec un charriot à pots pour évacuer les plantes indisponibles. Leur chef, personnage important à galons dorés, muni d'une musette avec un hétéroclite nécessaire à soins, courait d’un charriot à un autre pour faire des piqûres de chlorophylle aux cas les plus urgents. A certains moments de la journée, malgré le règlement interdisant l’entrée du jardin aux véhicules à roues, une camionnette de la prévention forestière venait prendre sur place une urgence. Les plantes grises pleuraient quelque temps le départ d’une favorite, puis l’oubliaient vite dans la fraîcheur innocente des plus jeunes.

Je te rencontrais là pour la première fois, agenouillée au-dessus d’une plante grise, occupée à placer patiemment un pansement de glucose sur une morsure de taupe. Tu penchais légèrement la tête et tes cheveux couraient sur tes bras nus. Ils avaient une peau d’enfant, plus lisse à l’intérieur du coude. Les autres plantes se pressaient autour de toi pour s’imprégner de ton parfum, puis l’exhalaient vers les plantes environnantes qui rougissaient plus fort. Tu continuais ton travail, coupant méticuleusement de petits morceaux de sparadrap pour faire tenir le pansement.

_ Les plantes ont l’âge de leur amour, me dis-tu en te tournant vers moi.

_ Elles meurent souvent de trop de soins.

_ J’aime les plantes sauvages comme ces plantes grises. Mais je suis trop tendre avec elles. Les hommes aussi, il faut les laisser saigner.

_ Et les fleurs transparentes ? Demandais-je en me penchant vers elle pour prendre les ciseaux quelle me tendait.

_ Elles ont la consistance éphémère de leur existence. Comme certaines femmes, elles meurent de leur unique vertu, la beauté. Elles rougissent beaucoup. Je ne les aime pas.

_ Qui aimez-vous ? Questionnais-je en me demandant ce qu'elle entendait par consistance éphémère de l'existence des plantes aux fleurs transparentes.

_ Moi. C'est déjà très difficile et on est vite dégoûté. Alors comment aimer le reste si on n’arrive déjà pas à s'aimer.

_ Peut-être en aimant quelqu'un d’autre ?

_ Ça m'est déjà arrivé et c'est éphémère comme la vie d’une de ces fleurs. Je ne veux pas recommencer. J'aime les plantes grises parce qu'elles me ressemblent. Elles se cachent. Elles sont pourtant au milieu des plantes rougissantes de la serre.

_ Comment vous appelez-vous ? Demandais-je encore.

_ Locédia, pourquoi ?

 

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