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16/06/2018

Jogging

Je cours presque tous les jours depuis que j’ai trente-cinq ans, essentiellement le matin, tôt. J’aime me lever à l’heure où la plupart des gens dorment. Cela me procure une impression de liberté extraordinaire. Je suis libre et je profite de la vie. C’est une respiration quotidienne qui embaume le cœur, allège le corps et vide l’esprit. Cette heure de jogging, est l’élément déterminant d’une bonne journée, bien commencée. On part au travail relaxé, le cerveau vidé des soucis de la veille et on s’installe dans le quotidien avec une détermination sans faille.

La veille déjà, on se prépare en se réjouissant. On pense aux premières foulées dans la fraîcheur, on se demande si on a bien rechargé son i Phone  pour suivre sa course de bout en bout, on s’endort tranquillement, gommant la nuit à venir et l’on se réveille prêt à tout. Ah, tout de même, prendre un petit café avant de chausser les bottes de sept lieues et puis, profitons-en, aspergeons-nous le visage d’eau fraîche pour être vraiment réveillé.

Ça y est, je suis prêt, me dis-je avant de fermer la porte à clé et de mettre celle-ci dans la petite poche du short. Descente de l’escalier sur la pointe des pieds et la sortie. L’aube pointe ses premières lueurs. Il n’y a personne. Normal, il est cinq heures quinze. La plupart dorment à poings fermés. Ouverture de l’application NRC. Mise en route du GPS, affichage de l’application. La pastille Go s’affiche. J’appuie. C’est parti.

Les premiers cinq cent mètres constituent un échauffement, voire le premier kilomètre. Les muscles sont raides des joggings d’hier et d’avant-hier. Il faut les ménager et faire jouer toutes les cordes avant de commencer à les tendre. Les pieds se laissent peu à peu dérouler, puis les mollets et les cuisses. Descendre aussi son centre de gravité. Ne pas trop lever les genoux, c’est inutile. Peu à peu, je prends ma cadence, elle s’installe malgré moi, un, deux, un, deux… Je trouve mon souffle, calme, modéré, sans défaillance. Cette fois-ci c’est vraiment parti.

En réalité, jusqu’au premières rosées de transpiration, on n’est pas encore véritablement lancé. On se distrait comme on peut, regardant une boutique, évitant un commerçant qui monte son étale, écoutant les bébés qui pleurent d’être contraints de se lever si tôt. Je suis encore dans la phase préliminaire où la distraction empêche la concentration, où la concentration n’est pas motivée. Mais progressivement la foulée se fait plus souple, la respiration s’installe dans son rythme, si bien qu’on n’y pense plus. On se laisse simplement bercer par celui-ci, à la manière d’une compagne de course qui vous accompagne chaque jour  en prenant garde de ne pas vous opportuner.

Et maintenant je cours. Je me suis installé dans ma bulle, cette sorte de sphère invisible qui protège des distractions, qui étouffe les écarts de pensée, qui atténue les bruits et les sensations autres que la course. Je regarde le sol deux mètres devant moi, je ne vois que mes jambes et mes bras qui s’agitent en cadence sans avoir conscience de l’ensemble du corps et cet état devient reposant, apaisant, presque bienheureux. Je plonge dans la volupté anesthésiante du coureur de fond qui se laisse aller sans peine, déroulant son rythme (6’ 45’’) avec aisance. J’atteins le summum du plaisir avant de commencer à souffrir. Nous sommes au kilomètre cinq ou six et tout glisse dans l’air. Je m’évade psychologiquement et suis présent physiquement.

Mon maillot laisse percer la transpiration. Je dois m’essuyer les yeux sans cesse, éponger mon front, déplacer mon short qui m’échauffe l’entre-jambe. Je respire tout aussi calmement, sans effort, je poursuis au même rythme. C’est le moment de la course où il devient le plus élevé. Bientôt je faiblirai, il diminuera. Je le sens à la transpiration qui m’envahit, qui chatouille mon visage, là, sous les yeux, puis là-bas derrière le cou. Je m’essuie avec mon maillot, mais cela reprend aussitôt. Je lâche les grandes eaux.

Huit kilomètres. Je ressens les premiers signes de fatigue. Je me laisse distraire par les quelques passants qui vont chercher leur pain ou qui partent au travail. J’ai l’impression d’un changement de temps, moins allègre, plus pesant, presque oppressant. J’ai du mal à rester dans ma bulle, elle crève par endroit et me laisse sans soutien. Heureusement j’approche de la fin : 9,5 km. Je me rapproche de mon domicile, je reconnais l’environnement quotidien. Allez, on augmente la cadence, on se paye un petit sprint pour se prouver que l’on est en forme. Trois cent, deux cent, cent mètres. Laisse-toi courir jusqu’à l’arrêt. Je ne suis pas trop essoufflé, la cage tient encore la route. Simplement, un engourdissement progressif du reste du corps qui se relâche, encrassé, tentant d’évacuer les miasmes de la course. Faire comme si rien ne s’était passé.

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