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23/03/2016

La fin de l'histoire (27)

Il n’eut cependant guère le temps de disserter intérieurement de ces points, étant interrogé par de nombreuses personnes, curieuses et entreprenantes.

– D’où venez-vous ?

– Que vous est-il arrivé ?

– Comment avez-vous fait pour que votre indicateur ne s’allume pas ?

Tous posaient ces questions légitimes d’une voix inquiète, tendue, comme si son avenir en dépendait. Nicéophore s’inquiéta : qu’ont-ils tous à m’interroger ainsi ? Soudain, il comprit. Aucun d’entre eux n’était réellement libre. Ils avaient naturellement été rendus libres puisqu’on leur avait arraché leur indicateur. Mais la liberté ne se décrète pas, on ne peut l’imposer. Elle demande un effort personnel, une longue quête qui conduit à une libération progressive. Ces gens étaient perdus. Ils n’avaient pas vécu l’apprentissage de la liberté. Comme des enfants, ils ne savaient que faire et se réfugiaient dans un monde caché où les initiatives étaient limitées. Que faire ? Y avait-il quelqu’un qui pouvait penser en toute conscience ? Il fallait qu’il en eût le cœur net :

– Attendez, s’il vous plaît. Je ne peux répondre à tous en même temps. Avez-vous un chef, quelqu’une qui dirige votre groupe ?

Une femme répondit :

– Non, bien sûr. Nous sommes libres. Nous n’avons pas besoin d’un chef. La liberté nous tient lieu de règle et rien d’autre n’est nécessaire.

Il se laissa entraîner dans une salle basse, aménagée avec des tables et des chaises installées en rond. Ils s’installèrent et me placèrent de telle sorte que tous pouvaient me voir. Un homme se fit l’interprète :

–  C’est la première fois que nous voyons quelqu’un qui est encore en possession de son avertisseur et qui, malgré tout, est libre. Comment avez-vous fait ?

Nicéphore raconta sa délivrance progressive, ses doutes, ses efforts, ses échecs, la nécessité de poursuivre sans cesse les exercices qui lui permettaient d’atteindre cette liberté qu’il désirait par-dessus tout. Les « sous-terrains » (c’est ainsi que sont appelés ceux qui se réfugient sous la ville) le regardaient comme une espèce de surhomme, allant jusqu’à le toucher pour s’assurer de sa réalité. Il éprouva deux sentiments contradictoires face à leurs réactions. C’étaient des enfants, avec une conscience à fleur de peau. Ils n’agissaient pas et ne pouvaient que réagir. Comment cependant en étaient-ils arrivés à saisir que la méditation quotidienne qu’ils pratiquaient était ce qui leur permettait de maintenir une certaine liberté malgré tout ? Il ne le comprenait pas. Il éprouvait dans le même temps une certaine tendresse vis-à-vis d’eux. Leur gentillesse le frappait. Bien qu’ils soient désordonnés, sans objectifs, sans même un mode de vie consciemment conçu, ils n’avaient aucun malentendu, brouille ou même jalousie entre eux. Ils étaient de bons camarades, voire même, entre certains hommes et femmes, de bons couples. Et la société semblait exister d’elle-même, sans qu’il soit nécessaire de disposer de règles.

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