03/10/2015
Le miroir 1
Ce matin, il m’est arrivé une chose étrange. J’étais dans la salle de bain, un gant de toilette à la main, me lavant les joues après les avoir savonnée. Je regardais mon visage fatigué, trouvant mes paupières lourdes et gonflées. Machinalement je passais et repassais le gant de toilette sur une barbe de la veille, accrochant des brins de tissu dans les poils du menton. Je suis gaucher. Normalement ma main gauche correspond sur la glace à la main droite si je me mets à la place de mon image. Et tout d’un coup, ce fut une autre symétrie qui apparut. Ma main gauche en face prenait la place de la main droite. La symétrie s’inversait. Je n’y pris pas garde au début. Poursuivant ma rêverie, encore quelque peu endormi, je ne me regardais pas vraiment. Ce fut une révélation.
– Que se passe-t-il ? Je rêve ! Mon personnage se disloque et me fait un pied de nez.
Cela ne dura qu’une seconde ou deux, puis tout redevint normal. Je me frottais les yeux, n’arrivant pas à admettre ce qu’ils avaient vu. Je finis par croire que j’avais rêvé, encore à moitié endormi. Je n’y pensai plus jusqu’au lendemain matin. Devant la glace, je me rappelai l’incident de la veille. J’ai rêvé, c’est sûr, me dis-je essayant de reconstituer ce que j’avais vu. Une inversion de la symétrie. Mon double devenait indépendant. Ce n’est pas possible. Voyons donc et prenons garde. Rien ne se passa pendant que je me lavais le visage. Un peu de savon, puis de l’eau fraîche pour le faire disparaître, le poil devenu plus souple, prêt à se laisser couper par le rasoir électrique. Je saisis donc mon rasoir, le mis en route et l’approchai de ma joue droite. Je vous l’ai dit, je suis gaucher. Je pris donc mon rasoir de la main gauche et traversai ma symétrie pour atteindre la joue droite. Eh bien, croyez-moi si vous voulez, je vis alors mon double exécuter le même mouvement avec sa main gauche. Quelle émotion ! Il alla jusqu’à me faire un clin d’œil et un petit sourire. Certes c’était un très petit sourire, mais suffisant pour que je m’interroge. Se moquerait-il de moi ? Puis tout cessa. J’eus beau tenter de revivre l’événement, rien à faire. Il s’agissait bien d’un double toujours docile, sans erreur, le regard franc. Bref, moi-même, dans sa plus grande ressemblance. Cela perturba ma journée. Je ne cessais de penser à cette image. Un être prenant son indépendance sans rien annoncer et qui osait de plus me faire un clin d’œil comme si je devenais complice de sa trahison. Toutes les heures, je me rendais aux toilettes du bureau, m’auscultais dans la glace sans cependant obtenir la moindre désobéissance de la part de mon double. Comportement normal, comme le temps est normal à la météo. Me voyant me lever assez souvent, mon voisin de bureau s’inquiéta.
– Que se passe-t-il ? Aurais-tu mangé quelque chose de mauvais ? Ton estomac te joue-t-il des tours ?
Je me contentais de marmonner quelques paroles inaudibles et tournais le dos à ce compagnon de travail. Il en conclut que ça n’allait pas très bien, mais sans plus.
Je rentrais chez moi pessimiste, inquiété par la tournure des événements. Je me promis d’interroger mon double s’il me refaisait un coup comme celui-ci. Mais d’une autre côté, je ne me voyais pas m’interrogeant et espérant une réponse de la part de ma symétrie qui n’est qu’une simple image de ma réalité, sans aucune possibilité que celle-ci prenne une indépendance impossible.
Mais… Je me demandais tout à coup si ce double existait lorsque je ne me trouvais pas devant une glace. Quelle idée. Je suis vraiment perturbé, me dis-je. Pourtant l’idée fit son chemin dans ma tête. Je m’imaginais errant dans chaque pièce avec ce double devant moi qui souriait d’un air moqueur. Tu m’agaces, me dis-je en moi-même. Mais j’y pensais et ne pouvais m’empêcher d’y penser. Je me couchai quelque peu perturbé et rêvai d’une révolte des doubles qui se vêtaient autrement, qui gesticulaient sans autre forme de procès et qui même, pour certains, manifestaient dans la rue pour leur indépendance. Je me réveillai transpirant, haletant, éprouvé. Mais de quoi ? De guerre lasse, je me rendormis et sommeillai jusqu’au matin, cahin-caha.
07:38 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit, nouvelle, insolite, symétrie | Imprimer
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