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29/04/2015

Un couple insolite (2)

Le lendemain, ils se réveillèrent difficilement, chacun restant un moment dans la brume du sommeil avant de se tourner vers l’autre. Damien, le premier, tendit un bras vers Isabelle et se réveilla instantanément. Rien. Isabelle n’était pas là. Il ne rencontrait que du vide. Il se tourna vers elle et la vit. « C’est bien vrai. Ce n’est pas un cauchemar ! Je la vois et je n’arrive pas à la toucher », se dit-il, atterré. Isabelle, quant à elle, ne réalisa la situation qu’en voyant la tête de Damien. Un fossé les séparait dorénavant, l’amour devenait sans objectif puisqu’il était impossible d’étreindre l’amour de sa vie comme il était également impossible de recevoir des caresses de l’être aimé. Isabelle venait en un instant de percevoir l’étendue du désastre. Non seulement Damien ne peut étreindre Isabelle. Mais en contrepartie, Isabelle ne peut recevoir la douceur d’une main sur son corps. « Mutilés, nous somme mutilés », murmura-t-elle pour elle-même. Alors elle se leva, s’approcha de son mari, lui prit la main, le forçant à se lever. Elle le débarrassa de son pyjama et le contempla, nu. Puis elle se déshabilla et s’offrit à son regard, les mains ouvertes, rayonnante de beauté. Ils communièrent ensemble du regard de l’autre et l’espoir revint.

– Ce n’est pas possible. Nous allons tout faire pour guérir, se promirent-ils.

– Dès demain, prenons plusieurs jours de congé et cherchons celui ou celle qui nous guérira, déclara Isabelle.

– Oui, et dès aujourd’hui, je regarde sur Internet ce que l’on peut trouver sur cette maladie, répliqua Damien.

Ils firent leur toilette et s’habillèrent sans rien dire, chacun étant préoccupé par cette situation inextricable. Leur petit déjeuner fut pénible. Isabelle ne put retenir quelques larmes, malgré sa volonté de paraître enjouée comme d’habitude. Damien ne sut comment lui manifester sa déconvenue, puis sa peine. Ils revêtirent leur manteau, descendirent l’escalier et se dirent au revoir sans pouvoir ni s’embrasser, ni même se serrer la main. Se quitter comme deux étrangers leur serrèrent le cœur. Ils réalisèrent en une seconde l’immense solitude dans laquelle ils se trouvaient. Ils firent trois pas, se retournèrent, se regardèrent, les yeux noyés de larmes, se sourirent, impuissants, puis partirent chacun de leur côté.

Arrivé au bureau, Damien se plongea dans son ordinateur. Il chercha toutes sortes de mots-clés et commença par « manque de toucher ». Il tomba sur une note de lecture du Dr Lucien Mias intitulé Je me sens moi…parce que tu me touches. Pour lui, le toucher est le sens le plus « spécifiquement humanisé, le moins candide, le seul réaliste comme le savait Thomas et comme l'apprend très vite l'enfant ». Il poursuit : Il y a 2 500 ans, Anaxagore a dit : « L'homme est intelligent parce qu'il a des mains. » J. Piveteau renversa la formule : « L'homme a des mains parce qu'il est intelligent. » Saint Thomas d'Aquin les met d'accord : « L'homme possède par nature la raison et la main. Cette raison raisonne mal si elle n'engage pas la main. Cette main travaille en vain si la raison ne s'engage pas dans son travail. » Il apprit que certaines personnes ne supportent pas qu’on les touche : « Le contact physique, c’est pire que d’être vue toute nue. Je me sens dévoilée, j’étouffe, j’ai l’impression que c’est le début de la fin. » Mais cette recherche lui parut bientôt vaine. Rien n’est dit sur l’absence bien concrète de toucher, car ce cas-là n’existe pas avec un corps valide et en bonne santé.

Isabelle, en tant que femme, s’enferma dans son bureau et téléphona aussitôt à sa meilleure amie, Sylvie, qu’elle connaissait depuis l’enfance. Elle lui raconta prudemment leur aventure, sans toutefois s’étendre sur leur constat. Sylvie, qui était kinésithérapeute, fut bien sûr étonnée d’une telle affliction. Elle se souvint que pendant ses cours, un professeur leur avait parlé de quelques cas curieux et elle promit de la rappeler après avoir trouvé ses coordonnées. Une heure plus tard, elle rappela Isabelle et lui donna le numéro de téléphone du professeur à l’hôpital Saint Louis. Aussitôt un rendez-vous fut pris avec la secrétaire du médecin pour le lendemain. Isabelle était ravie, elle allait enfin pouvoir reporter sur quelqu’un d’autre leur souci. Son moral ravivé lui permit de passer une journée de travail à peu près normal malgré la pression psychologique de la nuit.

La journée de travail de Damien fut traversée de moments de désespoir. Il n’arriva pas à se concentrer, participa à deux réunions sans pouvoir dire un mot et partit du bureau dès 18 heures. Il n’avait qu’une hâte, retrouver Isabelle et lui demander si elle avait une solution.

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