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25/02/2015

Matinale 4

Amélie se leva tôt. Elle avait déclaré la guerre. Elle se concentra sur ses objectifs : qu’en était-il de ces personnages entrevus il y a trois jours sous l’eau de la piscine ? Sont-ils réels ? N’ont-ils existé que dans son imagination ? Pourquoi a-t-elle reconnu deux personnes mortes depuis déjà plusieurs mois ? Elle ne savait pas encore comment elle allait s’y prendre. Il lui fallait étudier ce phénomène avant de savoir ce qu’il pouvait cacher. Première question : qui d’autre a donc connu dans le passé une telle mésaventure ? Elle connaissait la légende de Proserpine enlevée par Hadès, le dieu des enfers. Elle connaissait les tableaux de la fin du XVème siècle sur le thème de la Jeune fille et la Mort. Matthias Claudius écrivit un poème intitulé « La jeune fille et la Mort » qui devint un quatuor pour corde composé en 1824 composé par Schubert. Baudelaire a longuement écrit sur les femmes et leurs liens avec la mort : don Juan aux enfers où on lit, écrit d’une main ferme « Montrant leurs seins pendants et leurs robes ouvertes, Des femmes se tordaient sous le noir firmament… » Mais toute cette littérature ne lui apprit rien, sinon la vulnérabilité de l’être humain et l’inéluctabilité de la fin d’une vie. Nulle part il était question de retour des morts. D’autre part, ce lien étroit entre les jeunes femmes et la mort n’est qu’une allégorie qui n’a rien à voir avec la réalité vécue dont elle a fait l’expérience. Ils étaient bien vivants en ce sens qu’ils bougeaient, échangeaient des propos, tels elle et moi, narrateur occasionnel. De plus, ces légendes mettaient en scène des squelettes putrides et non des hommes et des femmes habillés comme son voisin.

Amélie passa une matinée à la bibliothèque de Beaubourg. Cela lui permit d’aller plus avant dans ses recherches bibliographiques. Il existait bien de nombreux livres concédant des rapports entre le monde des vivants et celui ou ceux des morts. Elle découvrit que les Islandais tenaient pour tout à fait naturel que les morts habitent à côté des vivants. Ils peuplent les foyers domestiques de leurs relations, en particulier de leur famille, et ce partage se manifeste notamment par l’habitude, revendiquée par les Islandais, de rencontrer les morts.

D’une manière plus générale encore, la société chrétienne occidentale considère que non seulement ils partagent leur quotidien, mais ils cherchent également à entrer en relation avec eux : Morts et vivants peuplent ainsi un même « monde », lieu des existences ordinaires, et leurs rencontres s’apparentent souvent à des « entrevues ».survenant de manière impromptue. On se croise, ici ou là, et rien ne semble déterminer a priori la raison du contact : « C’est le hasard des rencontres », affirme-t-on. C’est d’ailleurs en ces termes que Finnur, un homme d’une quarantaine d’années, rapporte ses expériences nocturnes : « Au début, dit-il, ce n’était qu’une apparition. ».Mais celle-ci est revenue sans cesse, faisant de leur rencontre une habitude : « Il y a des gens qui sont voyants, et ceux-là je comprends qu’ils voient des choses. Mais quand ça t’arrive à toi-même, alors là c’est étrange ! Moi, je ne sais vraiment pas pourquoi ça m’est arrivé, mais une nuit cette femme est venue. Je me rappelle même plus quand ça a commencé parce qu’au début je n’y ai pas fait attention ; mais après, elle venait toutes les nuits ! […] Elle n’était pas très âgée, peut-être 50 ans, je ne sais pas vraiment dire comment était son visage, mais il était sans expression. Mais ce n’était pas une bonne sensation. Même si elle n’a jamais rien fait, ce n’était pas bon. Elle était habillée d’une longue robe brune. Elle venait jusqu’à moi, devant le lit et elle restait là sans rien dire. Moi je ne pouvais plus rien faire, j’étais comme paralysé. Et puis elle disparaissait. Très souvent je me réveillais et alors je la voyais qui disparaissait. » (Christophe Pons, Réseau de vivants, solidarité de morts, un système symbolique en Islande, Terrain [En ligne], 38 | mars 2002, mis en ligne le 19 janvier 2006, consulté le 15 février 2015. URL : http://terrain.revues.org/1963). Ce sont généralement les songes qui jouent le rôle de « faire-part », conduisant les vivants à se rencontrer sur la demande des morts : « Une fois j’ai rêvé d’une femme que je ne connaissais pas. Elle était âgée et elle avait un visage doux et lumineux. C’était une bonne impression et je me suis sentie bien. Mais elle m’a dit, un peu en colère : “Je ne suis pas contente de ce que Erla, ma fille, est en train de faire en ce moment !” Et elle me demanda de téléphoner à sa fille pour le lui dire ! Alors j’ai compris que ce devait être la maman d’une amie qui habite dans le Nord-Est ; sa mère venait juste de mourir. Le lendemain j’appelle mon amie et je lui demande : “Mon Erla, qu’est-ce que tu es en train de faire en ce moment ? J’ai vu ta maman qui m’a dit de te dire qu’elle n’était pas du tout contente à cause de ce que tu fais !” Alors Erla m’a dit que c’était à cause de la commode. Une vieille commode de famille qu’elle venait de vendre ! Et sa maman ne voulait pas. Erla l’avait déjà vendue et elle avait pris l’argent, mais elle est allée voir l’acquéreur pour lui dire qu’elle devait la reprendre et sa mère l’a remerciée. » (idem). Certes, tout ceci contredisait les préventions chrétiennes du premier millénaire. Saint Augustin avait fermement condamné cette croyance. Mais à partir du XIème siècle les mentalités évoluent. Progressivement, l’on en vint à considérer que morts et vivants commercent pragmatiquement selon les mêmes intérêts familiaux.

Quelques jours après ces lectures, Emilie apprit qu’il existait dans le monde scientifique des médecins qui recueillaient des informations sur une vis après la mort. L’une d’entre eux, Elisabeth Kübler-Ross, thanatologue reconnue, a passé des centaines d’heures au chevet des mourants. Elle affirme que la mort n’est qu’un passage dans une autre forme d’une autre vie sur une autre fréquence. En lisant un de ses livres, Emilie apprit beaucoup sur cette vie après la mort et sur le passage d’une vie à l’autre, une nouvelle naissance comme elle l’explique.  Elle lut l’histoire de Mme Schwarz, morte dix mois auparavant, qui revient lui demander, de manière impérative, de ne pas renoncer à ses travaux sur le mourir et la mort. Elisabeth la touche, lui fait écrire quelques mots pour quelqu’un qui la connaissait. Elle promet et la femme disparaît. Elle était bien là cependant. « Peut-être tout cela est-il vrai. Mais ce ne sont que des faits racontés par quelqu’un. C’est totalement subjectif et rien ne nous prouve que tout cela a existé. Les gens qui ont vécu de tels événements sont probablement sincères, mais est-ce une réalité et non une perception anormale qui devient progressivement réelle dans la tête de ces personnes ? Emilie décida de laisse reposer ces interrogations pendant deux ou trois jours de manière à ne pas se laisser hypnotiser par ses questions. Elle prit un train quelconque, arriva dans une gare du massif central, trouva un hôtel, se changea, revêtant une combinaison et des chaussures de marche et partit vers petits sommets qui entouraient cette petite ville. Deux jours plus tard, elle rentrait, en pleine forme, prête à affronter la suite de son enquête.

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