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16/09/2014

Le clavecin bien tempéré livre 1, interprété par Frank Wasser

Entrée dans l’église Saint Mery, à proximité du Centre Georges Pompidou. Elle est quasiment invisible, entourée d’une barrière de planches. On procède à sa toilette et elle se cache derrière le paravent. Aussi entre-t-on par une porte dérobée, sur le côté. Les auditeurs sont tous là, déjà. Assis en rond autour du piano qui trône seul dans la nef, grand ouvert, mais silencieux, en attente, se laissant regarder dans son vêtement noir de concert, prêt à faire résonner ses cordes. Le maître arrive enfin du noir qui règne derrière les spectateurs. Il surgit souriant, décontracté semble-t-il. Mais son salut profond, révérencieux, est néanmoins quelque peu crispé. Normal. Avant les premières notes, il y a toujours une petite inquiétude ou même simplement un pincement du cœur qui cesse vite dès que les doigts commence à courir sur le clavier. Progressivement, le pianiste se détend, s’engage dans la musique, se laisse immerger dans les sons que ses doigts, ses mains, ses bras, son buste, son corps tout entier propagent dans l’air. Ils rebondissent sur les colonnes, s’enlacent sur les volutes des clés de voûte et pénètrent dans les oreilles en miasmes enchantés. Les malades commencent à être atteints : ils ferment les yeux, laissent aller leur tête, battent la mesure du bout des doigts, et semblent pris d’une fièvre alanguie. Pas un bruit, même le son du piano semble silencieux, avec une qualité d’écoute telle que l’on n’entend plus que la pulsation du prélude et fugue n°1 BWV 846.


Chaque pianiste se targue de le jouer à sa manière. Profondément, lentement, rondement pourrait-on dire, à la manière d’Alexander Paskanov, comme dans un œuf, laissant les sons tourner en boule autour de la coquille qui finit par vibrer fortement, puis revient à ce léger tremblement qui l’avait d’abord ébranlé. Lentement également, à la manière de Glenn Gould (encore qu’il ait eu plusieurs manières de jouer le prélude), qui fait vibrer la résonnance de la main de la main gauche et pique les quatre dernières notes avec, en arrière fond, sa chansonnette si caricaturale qui donne une vie unique à son jeu. Plus rapidement, en écho, à la manière Richter, en accentuant la première note de la montée des notes de la mélodie, rajoutant un chant derrière la mélodie principale, comme un arrière fond de regret ou de nostalgie qui donne au prélude une profondeur assez inusité. Ou encore à la manière Maurizio Pollini, détachant chaque note, accentuant les deux dernières notes de la phrase mélodique, introduisant un rythme et une sonorité différente, plus distincte, mais également plus liée.

Mais peut-être est-ce tout simplement l’attention que chaque auditeur porte au déroulement de la phrase qui lui donne ces différences d’interprétation, l’interprète ne faisant que suggérer une attention nouvelle de la part de la salle qui connaît bien sûr le morceau par cœur. Alors, on se laisse bercer, on laisse se créer une échelle entre la terre et le ciel par cette montée des notes sans cesse renouvelée et on part dans cette délicieuse absence de pensée, tout entier vibrant de la relation entre les deux mondes, celui des sons et celui, plus subtil, des émotions engendrées, propres à chacun.

Oui, c'est vrai, je n'ai rien dit de la prestation de Franck Wasser. N'ayant pas trouvé son interprétation du clavecin bien tempéré, je me suis laissé aller à d'autres considérations. Mais est-ce si important?

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