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22/01/2011

Les objectifs de l’équitation française

(suite de la note du 10 janvier sur l'harmonie en équitation) 

 

Cette recherche de l’harmonie s’exprime à travers deux objectifs propres à l’école française :

 

v     la légèreté :

 

Ø      du cheval

Cet objectif proprement français se retrouve aussi bien dans l’équitation sportive que dans l’équitation de dressage et constitue plus qu’une simple technique.

Il ne s’agit pas bien sûr d’une simple recherche de la légèreté de la bouche, propre à la plupart des débutants. Pour reprendre l’expression du Général L’Hotte, le caractère de la légèreté réside dans la flexibilité élastique et moelleuse de tous les ressorts et ne pourra être acquis qu’après la disparition complète des résistances, c’est à dire de toutes les contradictions inopportunes. Cette légèreté est autant nécessaire au cheval d’obstacle qu’au cheval de dressage.

L’objectif de légèreté est étroitement lié à la mise en application de trois principes:

. l’impulsion,

. la rectitude.

. l’équilibre,

L’impulsion est première et indispensable. Mais elle doit être dirigée, c’est le rôle de la rectitude. L’équilibre vient ensuite et conduit à la légèreté dans le travail des allures.

Ces trois principes sont suffisamment connus pour ne pas être développés ici. Il serait cependant intéressant de montrer en quoi ils concourent à la légèreté et quels sont les techniques qui permettent de les obtenir.

 

Ø      du cavalier

Au delà de la légèreté dans l’emploi des aides et la légèreté de l’assiette, tant dans l’équitation de dressage que dans l’équitation d’obstacles, la véritable légèreté se manifeste à travers ce que le Général L’Hotte appelle le tact équestre.

 

« Enfin, vient un sentiment tout spécial, dénommé tact équestre, et qui a dans son domaine de faire discerner la nature, bonne ou mauvaise, des contradictions du cheval, de guider le cavalier dans l’à-propos et la mesure de ses actions? Ce sentiment, que le travail développe mais ne saurait faire naître, est aussi nécessaire à l’écuyer, c’est à dire au cavalier artiste, qu’est indispensable au peintre le sentiment du coloris, au musicien le sentiment de l’harmonie des sons.

Général L’Hotte, Questions équestres

 

 Ici aussi, certains principes sont propres à l’équitation française :

. l’indépendance des aides ;

. le liant de l’assiette et surtout des aides avec le mouvement du cheval ;

. la correction de l’équilibre par le poids du corps plus que par l’emploi des aides.

 

v     la libre expression de la personnalité

 

Ø      du cheval

L’harmonie ne peut être atteinte par la contrainte. Elle apparaît par le développement et l’amplification des mouvements naturels qui ont toujours été recherchés par l’équitation française. C’est la définition du Général L’Hotte : le cheval allant et se maniant comme de lui-même.

 

Ø      du cavalier

La formation du cavalier ne peut constituer un moule dans lequel celui-ci doit trouver sa place. Elle doit permettre d’acquérir un cadre, des limites, des références qui lui permettront d’exprimer les qualités propres à l’école française sans contraindre ses propres aptitudes naturelles et sa personnalité.

C’est sans doute pour cette raison que jusqu’à présent n’a pas été formulée nettement une doctrine de l’équitation française. L’enseignement de techniques et de savoir conduisent généralement vers la constitution d’un bon corps d’exécutants, mais empêche bien souvent le développement de l’imagination créative et la recherche d’un style propre. Or il semble bien que le génie réel de la France aille à l’encontre de ce qui se pratique dans nos écoles et universités. Il ne s’exprime que lorsqu’il dépasse le bagage acquis pour s’enfoncer vers les eaux claires de la découverte et de l’expression de sa propre personnalité.

 

 « L’art n’est pas une science que fait avancer pas à pas l’effort impersonnel des chercheurs. Au contraire, l’art relève au monde la différence : chaque personnalité, une fois ses moyens d’expression en mains, a voix au chapitre. »

Paul Klee, Théorie de l’art moderne

 

            Cependant cette formation ne doit pas non plus se concentrer sur la recherche exclusive de l’expression de la personnalité. Elle doit permettre au cavalier de découvrir et d’assimiler les principes communs de l’art équestre et de le faire progresser.

 

« Le même guide infaillible conduira l’artiste dans son ascension : le principe de la Nécessité intérieure.

Cette Nécessité intérieure, trois nécessités mystiques la constituent :

×   Chaque artiste, comme créateur, doit exprimer ce qui est propre à sa personne. (Élément de la personnalité.)

×   Chaque artiste, comme enfant de son époque, doit exprimer ce qui est propre à son époque. (Élément de style dans sa valeur intérieure, composée du langage de l’époque et du langage du peuple, aussi longtemps qu’il existera en tant que nation.)

×   Chaque artiste, comme serviteur de l’art, doit exprimer ce qui, en général, est propre à l’art. (Élément d’art pur et général qu’on retrouve chez tous les êtres humains, chez tous les peuples et dans tous les temps, qui paraît dans l’œuvre de tous les artistes, de toutes les nations et de toues les époques et n’obéit, en tant qu’élément essentiel de l’art, à aucune loi d’espace et de temps. »

Kandinsky, Du spirituel dans l’art

   

 

*   *   *

  

            Il est évident que ces quelques éléments ne constituent que des pistes de réflexion sur une possible expression de ce qui constitue la particularité de l’équitation française. Il faudrait maintenant s’attacher à développer l’ébauche des objectifs et à les relier aux techniques propres à chaque discipline. Sans doute est-ce un des rôles de l’École Nationale d’Équitation.

Cependant, il importe de comprendre le tissu culturel qui conditionne la particularité de notre équitation et de réaliser que l’équitation, en tant qu’art et discipline sportive, ne peut se limiter aux techniques :

 

« Il importerait de reconnaître, à la fois pour le passé et pour le présent, que tout art qui satisfait pleinement est une création dans laquelle se manifestent aussi bien les pouvoirs de la main que ceux de l’âme et ceux de l’esprit. »

Joseph-Emile Muller, L’art moderne

 

10/01/2011

Le but à atteindre : l'harmonie

(suite de la note du 9 janvier)

 

 L’esprit de l’équitation française s’exprime à travers ce qui n’est d’abord qu’un sentiment fugitif, qui peu à peu devient une expérience renouvelée et que l’on pourrait nommer l’harmonie. Celle-ci constitue le but à atteindre.

 

            Cette harmonie est une sensation, une émotion, un sentiment privilégié et fugitif qui donne au cavalier l’état de grâce qui transforme sa pratique de l’équitation en art. Elle conduit le cavalier à sans cesse se dépasser pour la retrouver. Elle n’est pas réservée aux seuls grands maîtres du dressage et constitue ce qui permet aux champions de l’équitation sportive de remporter la victoire malgré les pressions qui s’exercent sur eux pendant l’épreuve.

            Elle est palpable non seulement pour le cavalier, mais pour ceux qui partagent et communient à ces moments : connaisseurs, mais aussi spectateurs, même non initiés.

 

            Pour le spectateur, l’harmonie n’est pas directement perceptible. Celui-ci n’éprouve qu’un sentiment de perfection et de facilité face au couple accompli du cheval et du cavalier évoluant sous ses yeux. Ce sentiment l’amène ensuite trop souvent à critiquer ceux qui n’arrivent pas à cet état de grâce, sans qu’il comprenne la longue quête du cavalier pour arriver à cet accomplissement. Ainsi l’harmonie s’exprime d’abord par l’impression d’aisance et de communion, donc de rapports naturels et faciles à obtenir.

 

            Pour le cavalier, l’harmonie est le but à atteindre. Cette harmonie est l’aboutissement d’une ascèse, la réalisation dans l’instant d’années de travail et de pratique. Elle est au delà de la technique ; elle l’utilise, mais la dépasse.

 

« Le sens de toute pratique n’est pas la performance parfaite en elle-même, mais ce qui advient à l’homme qui l’exécute. Naturellement cette performance reste le but, mais elle prend sa signification dans l’homme qui l’accomplit. La purification et la transformation de l’homme se réalise par un effort juste vers la technique parfaite. Le sens de celle-ci est cependant tout autre que si l’importance se concentrait uniquement sur l’exécution elle-même. Pratiqué dans l’attitude juste, comme un moyen de progresser sur la voie, l’exercice modifie l’homme. Réciproquement, sa transformation intérieure devient la condition, non seulement nécessaire mais suffisante, de la plus haute perfection technique. Un talent est toujours la marque d’un entraînement. Mais dans l’art supérieur, la technique est devenue le fruit d’un exercice par lequel le talent lui-même exprime la métamorphose par l’Être. »

Graf Dürkheim, Le zen et nous

 

            C’est l’atteinte de cette harmonie qui transforme la science des techniques équestres en art. Au delà de la technique acquise et pratiquée va se révéler à un moment donné un état de grâce entre le cavalier et son cheval qui, en toute lucidité de la part de l’un et de l’autre, va permettre au couple d’exister, de se révéler, d’être dans sa pleine existence. Cet instant d’harmonie totale non seulement permet la victoire en compétition, mais enrichit le cavalier et le spectateur parce qu’il dévoile la grandeur et la beauté de la vie. C’est un accomplissement intérieur qui fait prendre conscience des liens et des énergies existant entre l’homme et le cheval, entre le couple et le monde dans lequel il évolue. La technique devient art parce qu’elle fait naître la transparence à la transcendance et parce que celle-ci se manifeste visiblement.

 

« L’harmonie des formes doit reposer sur le principe du contact efficace de l’âme humaine. Ce principe a reçu le nom de principe de la nécessité intérieure.

Est beau ce qui procède d’une nécessité intérieure de l’âme. Est beau ce qui est beau intérieurement.

Kandinsky, Du spirituel dans l’art

 

 

            L’harmonie se manifeste par la beauté, beauté au delà des normes académiques, faite de la perception du mystère du monde et de la vie et de la part de l’homme dans le dévoilement de cette beauté. Elle donne un sens profondément humain à ce qui peut ne sembler qu’un loisir, qu’un sport, qu’un moyen de jouir de sa vie ou de la mettre en valeur.

 

« Un jour un saint s’arrêta chez nous. Ma mère l’aperçut dans la cour, faisant des culbutes pour amuser les enfants.

- Oh! me dit-elle, c’est vraiment un saint : tu peux, mon fils, aller vers lui.

Il mit la main sur mon épaule et me dit:

- Mon petit, qu’est-ce que tu comptes faire?

- Je ne sais pas. Que voulez-vous que je fasse?

- Non, dis ce que tu veux faire.

- Oh, j’aime jouer.

- Alors, veux-tu jouer avec le Seigneur?

Je ne sus que répondre. Il ajouta:

- Vois-tu, si tu pouvais jouer avec le Seigneur, ce serait la chose la plus énorme qu’on n’eut jamais faite. Tout le monde le prend tellement au sérieux qu’on le rend mortellement ennuyeux... Joue avec Dieu, mon fils. Il est le suprême compagnon de jeu. »

Gopal Mukerji

 

 

« La beauté est une chose difficile qui ne se laisse point atteindre ainsi. Il faut attendre ses heures, l’épier, la presser et l’enlacer étroitement pour la forcer à se rendre. La Forme est un Protée bien plus insaisissable et plus fertile en replis que le Protée de la fable. Ce n’est qu’après de longs combats qu’on peut la contraindre à se montrer sous son véritable aspect. Vous autres, vous vous contentez de la première apparence qu’elle vous livre, ou tout au plus de la seconde ou de la troisième; ce n’est pas ainsi qu’agissent les victorieux.

Balzac, Le chef d’oeuvre inconnu

09/01/2011

L'esprit de l'équitation française

(suite de la note 08/01/2011)         

  

             En appliquant à l’équitation française ce processus, il faut avant tout se poser la question de l’esprit de cette équitation. Est-elle réellement différente des autres, constitue-t-elle réellement une école distincte, même si celle-ci n’a jamais été caractérisée et exprimée clairement par ceux qui s’en réclament?

 

            A cette question, il semble bien que l’on puisse répondre oui. L’équitation française se caractérise avant tout par la recherche du développement des qualités et aptitudes naturelles du cheval. Alors, à travers l’accomplissement le plus parfait de sa monture, le cavalier s’accomplit lui-même. 

 

            L’équitation française est donc l’expression d’une philosophie de la vie et non uniquement une pratique différente de celle des autres pays. Fort heureusement et sans doute parce que les grands cavaliers n’étaient pas tous des hommes de pensée, l’art équestre français n’est pas tombé dans l’abus de rationalité propre à notre système de pensée. Il a conservé la pureté de l’union des sens, des sentiments et de l’intellect et n’érige pas en système des techniques, même s’il en privilégie certaines.

 

            Cette philosophie découle de la tradition proprement française résultant d’une fusion harmonieuse entre l’héritage du christianisme du premier millénaire et la découverte ou redécouverte de l’humanisme. Elle représente une certaine idée de l’homme, de son accomplissement à travers les rapports qu’il peut avoir avec les autres et le monde. Elle précède la tendance occidentale apparue au siècle des lumières où l’homme cherche à s’imposer au monde. Elle consacre une vision plus large de l’accomplissement comme une harmonie entre l’homme, le monde et Dieu. Elle est souffle, mouvement et vie et s’exprime à travers la beauté naturelle. Un bon exemple de cette philosophie peut être donné par la pureté, la spontanéité et la profondeur des alléluias grégoriens de l’école gallicane.

 

            Contrairement à ce que pense La Guérinière, il est compréhensible qu’en dehors des écrits techniques des grands maîtres, il n’y ait pas une théorie plus générale sur l’équitation française. Cette discipline n’admet pas la notion de système apparue en parallèle avec le développement des sciences et techniques. Elle est le fruit d’un savoir être que l’on ne théorise pas et qui se transmet par apprentissage plus que par savoir. Mais cette transmission n’est possible que par ceux qui en ont réalisé l’esprit dans la pratique.

 

« Je regrette que les grands maîtres, tels que les Duplessis et les de La Vallée, qui firent tant de bruit dans les temps heureux de la chevalerie, ne nous aient point laissé de règles pour nous conduire dans ce qu’ils avaient acquis par une application sans relâche et d’heureuses dispositions. Je déplore cette disette de principes qui fait que les élèves ne sont point en état de discerner les défauts d’avec les perfections et n’ont point d’autres ressources que l’imitation »

La Guérinière

 

« Aucune méthode, quelque logique et bien ordonnée qu’elle puisse être, ne saurait donner des résultats infaillibles. Toute action équestre exige, pour obtenir l’effet qu’on en attend, ce qu’aucun écrit ne saurait donner: l’à-propos et la mesure, autrement dit le tact équestre.

Général L’Hotte