31/03/2020
L'étrange bataille de San Pedro de Atacama (7)
L’ensemble prenait son temps, le capitaine et sa femme ne se répartissant jamais de leur calme. Ils passaient devant les défenses de la ville avec indifférence et modestie, sans volonté de se montrer, de se faire admirer, comme s’ils poursuivaient leur chemin et qu’arrivés à l’entrée du bourg, ils allaient repartir vers l’endroit d’où ils venaient. Et pourtant, ce ne fut pas ainsi que cela se passa. Parvenu devant la porte d’entrée, le seul passage pour franchir les remparts de bois, l’attelage s’arrêta ; le capitaine, passa la jambe droite par-dessus l’encolure, mit pied à terre, lâchant les rênes sans que le cheval ne bouge, s’approcha du chariot et tendit la main droite à sa femme qui descendit avec grâce. Ensemble, ils se dirigèrent derrière le fourgon et aidèrent trois adolescentes à descendre. Un murmure accompagna cette apparition. Vêtues de robes rouges, elles regardaient ce village qui allait devenir leur décor pendant une année au moins. L’une d’entre elles se pencha vers les deux autres, dit brièvement quelque chose qui les fit sourire. Une autre leva la main comme pour un signe de reconnaissance, l’agitant pour dire sa joie d’être arrivée. Mais très vite, elle reprit un maintien irréprochable. Ensemble ils se dirigèrent vers la porte grande ouverte, encombrée des curieux qui s’y pressaient. Quelle entrée ! Les notables, déjà descendus des remparts, se précipitèrent et se mirent en rang pour les accueillir. Les habitants du village se bousculèrent un peu pour avoir une place qui leur permettait de voir la femme et ses filles, avides de connaître celles qui allaient désormais habiter avec eux.
L’intention du capitaine Barruez en faisant cette manœuvre inattendue n’était pas de se faire valoir inutilement auprès des habitants de San Pedro, mais de montrer sa sérénité et sa tranquillité d’esprit à une population qu’il supposait inquiète. Ce premier objectif qu’il s’était fixé lui semblait indispensable pour pouvoir par la suite enlever les doutes, interrogations, questions à ses ordres en cours de bataille. Il lui fallait emporter l’adhésion des habitants d’un simple mot, voire d’un seul coup d’œil. Il avait imaginé ce stratagème lors de sa dernière étape entre Calama et San Pedro, en examinant le plan du bourg. Certes, un tel comportement risquait de laisser croire aux habitants San Pedro que le nouveau capitaine les dédaignait et paradait devant eux pour montrer qu’il était le maître. Mais même la peur peut être utilisée pour obtenir l’adhésion si, dans le même temps, on fait preuve de respect envers chacun et chacune. Aussi lorsqu’il eut fini son tour de la ville malgré la chaleur et l’attente du réconfort d’une pièce fraîche, il fut soulagé de constater que la majorité de la population était là, dans le but de faire sa connaissance.
N’allez pas croire qu’Alexandro Barruez était un homme calculateur et sans sentiments. Il ne cessait dans le même temps de penser à sa famille. Sa chère Emma, en premier lieu. Cette frêle jeune femme faisait son admiration. Jamais un mot de reproche, de crainte, de lassitude. Elle le regardait avec ses yeux clairs, ouverts sur le monde, et il ne voyait en eux que cette transparence que seuls les êtres purs savent transmettre. Il fermait les yeux et aussitôt sentait monter en lui cette envie de la toucher, de l’embrasser, de lui parler, de se réjouir avec elle de la vie, éventuellement de pleurer et de se consoler ensemble. Elle ne prétendait rien d’autre que de le rendre heureux. Sa seule ambition : fonder une vraie famille. Ils avaient eu trois filles et avaient dû renoncer à avoir un autre enfant car, depuis son dernier accouchement, elle ne pouvait plus enfanter. Elle avait bien pris cette fatalité et s’était consacrée amoureusement à ses trois filles, sans cependant les couver et les inhiber.
04:13 Publié dans 44. Livres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bolivie, chili, désert, guerre | Imprimer
Les commentaires sont fermés.