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25/10/2019

Locédia, éphémère (31)

Une de ces affiches représentait une femme aux dents écarlates tenant à la main une brosse à dents. Elle s'écriait en lettres noires : « Ne vous brossez pas les dents avec n'importe quoi ! » A la suite de ces mots, on pouvait voir une brosse à dents électrique vibrante revêtue de ses pare-gencives. Pourquoi cette affiche anodine me fit penser à toi, Locédia ? Ce n'était ni la brosse à dents en elle-même, ni la couleur des cheveux de la femme, ni ses yeux d'ampoules noircies. Perdu dans la contemplation de cette femme au sourire carmin, arrivé au niveau du transporteur et bousculé par les enfants qui se pressaient pour monter les premiers, je redescendais déjà de l'autre côté de la station sans avoir pu monter dans la boite capitonnée, quand je découvris la raison de cette réminiscence bizarre ? Un soir, tu t'étais lavée longuement les dents et tu m'avais regardé en tenant en l'air ta brosse à dents, du même geste que la femme sur l'affiche.

_ N'est-ce pas que je suis belle ? Aimes-tu mes dents ?

_ Tu as les dents d'un jeune chien, lui lançais-je en riant.

_ Pourquoi ? Non, j'ai les dents d'un enfant.

Tu semblais vexée de cette réponse que j'avais faite en pensant à autre chose, absorbé par la contemplation du vent sur la chevelure feuillue des arbres municipaux.

_ Et tu es une enfant qui a vingt ans, remarquais-je. Ou sans doute es-tu une femme de quarante ans ou encore une grand-mère qui a quatre-vingt ans et les dents d'une enfant. Quand tu avais les cheveux gris, je te baisais la main. J'embrasse, Madame, la dentition de votre descendance.

Tu riais de ma folie, les dents rayées de tes cheveux que nous mêlions à nos jeux, ces cheveux que tu avais voulu teindre le jour où je t'avais dit que tu n'aurais les dents blanches que lorsque ceux-ci auront vieilli.

Je m'étais perdu dans la foule descendante. Comme les particules d'un fleuve déchainé, j'étais repoussé par la masse des autres contre une berge, comprimé entre deux racines, ralenti par le frottement familier de l'écorce et ramené ensuite par les lois de la gravité vers le milieu des flots. Je dus traverser d'interminables couloirs sonores, monter des escaliers tortueux, choisir une route dans ce labyrinthe, redescendre des marches rugueuses et attendre une place dans la file ininterrompue du tapis roulant. Je te revis à nouveau, verte, lumineuse, réclame impitoyablement humaine.

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