02/03/2016
Se garer entre deux voitures
Il est des jours où tout est simple parce que vos perceptions sont démultipliées. Ainsi en est-il lorsque vous garez votre voiture en ville.
Habituellement vous vous y reprenez à deux fois et même plus, n’arrivant pas à trouver le bon angle d’attaque, la courbe majestueuse à effectuer pour vous glisser sans contact entre deux voitures et le trottoir. Cela vous rappelle les prisons américaines que l’on voit dans les vieux films : trois murs, une grille à travers laquelle le détenu passe avidement les bras comme pour aspirer une brassée d’air pur. Vous vous laissez balloter entre les parechocs ou vous cognez trop vite sur la pierre sèche du trottoir sans comprendre pourquoi vous n’arrivez pas à entrer. Vous êtes comme l’incarcéré qui se fait parfois projeter par ses codétenus entre les trois murs et la grille. Vous avez cependant l’avantage d’être dehors et vous cherchez à vous glisser dedans. Le prisonnier est hélas dedans et voudrait bien sortir dehors. Toute autre ressemblance avec des personnes ou des situations existantes ne saurait être que fortuite.
Mais d’autres jours, plus rares et délicieux, vous faites preuve d’une intensité extraordinaire de conscience. Dieu vous glisse une goutte d’huile sur le corps et vous guide hardiment dans ce coin obscur sans que vous vous en rendiez compte. Pourtant rien ne vous y prépare. Vous n’avez aucune acuité supplémentaire avant de commencer à tourner votre volant à droite pour laisse l’avant de la voiture partir à gauche pendant que son arrière-train accepte de chercher une place sur sa droite. Vous avez la sensation de vous assoir sur un fauteuil non rempaillé dont les montants de bois vous rentrent dans les fesses. Alors vous vous contorsionnez pour trouver une agréable assise. Nouveau coup de volant, à gauche cette fois-ci, qui vous permet d’entrer en catimini dans l’espace promis et envié. Vos sensations s’exaspèrent. Vous avez des picotements au bout des doigts, des pieds et de votre postérieur qui vous avertissent de l’approche de l’obstacle et vous font l’éviter. Vous vous sentez grandi, vous redressez la tête qui vous sort du cou et vous permet de mesurer la distance entre la roue arrière et le trottoir. Alors d’un geste sublime vous tournez à nouveau votre volant à droite pour caser le reste de votre corps entre les parechocs, avec douceur, sans heurt, entrée triomphale dans cet antre de paix qu’est la place qui vous a été offerte par un collègue parti quelques instants plus tôt. Vous n’avez pas encore conscience de cette agilité des sens qui vous a permis cette glissade bienheureuse dans un créneau étroit.
Au moment de couper le contact, un silence impressionnant se fait en vous. Tout devient fluide, vous baignez dans le bonheur qui est à portée de main. Votre cœur se dilate et devient une grotte qui résonne du moindre bruissement, votre vue s’affine jusqu’à vous montrer ce que vous ne voyez jamais, un fil d’araignée qui s’étire entre le tableau de bord et le parebrise. Il luit au soleil et vous dit : « Oui, elle est belle la vie, belle de ces petites choses sans intérêt qui lui donnent du sel et en font un plat goûteux que vous dégustez en une seconde qui devient l’éternité avant de retrouver la gaucherie de tous les jours et de sentir, en vous passant la main sur la joue, votre barbe qui pousse ».
07:15 Publié dans 12. Trouvailles diverses | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : manoeuvre automobile, permis de conduire, garage, créneau | Imprimer
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