17/05/2015
Un couple insolite (9)
La journée du dimanche fut pour le couple séparé un calvaire et un moment de grâce. Oui, un calvaire par l’absence de l’aimé(e), un moment de grâce par une attente insoutenable qui les reconstruisit. Errant, l’un dans Paris qui lui paraissait vide, l’autre à la campagne, tout aussi dépeuplée, ils furent contraints de se laisser aller à une expectative mélancolique, un état second qui les tint en alerte, tendus vers la rencontre du soir, lorsqu’enfin ils se retrouveraient. Ils ne voyaient rien, n’entendaient rien. Ils allaient dans le présent comme s’ils se mouvaient dans une piscine, avec des gestes ralentis, un halo de lumière remplaçant le soleil qui était revenu après le temps détestable de la veille. Ce fut pour eux une journée pénible, lourde et déstabilisante. Dans l’après-midi, Damien fit une rencontre. Errant dans une rue, il se heurta à un croisement à un homme assez âgé. Celui-ci tomba par terre, probablement parce qu’il avait du mal à tenir sur ses jambes. Damien l’aida à se relever, lui remis ses lunettes sur le nez et l’invita à prendre un remontant dans le café qui se trouvait là. Cet homme avait quelque chose de troublant. Il était bien réel, mais semblait décalé. A chaque question de Damien, il lui fallait un certain temps pour répondre, comme s’il percevait ce qu’il vivait avec un décalage, faible, mais réel. Il regardait Damien d’un air inquiet et Damien ressentit cette inquiétude au fond de lui. Mais quant à dire de quelle inquiétude il s’agissait, il n’en avait aucune idée.
– Pardonnez ma maladresse. J’étais moi-même préoccupé par un problème personnel et n’ai pas fait attention, alors que j’avais entendu votre pas venant de la droite.
En disant cela, Damien réalisa qu’en réalité il avait bien entendu les pas du vieil homme venant de la droite. Marchant sur le trottoir de gauche et abordant un carrefour, il s’était contenté de jeter un coup d’œil vers l’espace vide du croisement et, ne voyant rien, il avait poursuivi vaillamment sans se poser de question. Un trouble de la perception, sans plus. Il avait été surpris par l’homme venant de la gauche, la tête encore à moitié tournée vers la droite et l’avait heurté de l’épaule gauche assez violemment. Finement, le vieillard observa que Damien venait de sa droite, celle qui tenait sa canne qu’il avait fauchée d’un pied vif, sans mauvaise intention.
– Je ne vous aurais pas heurté avec l’épaule, mais simplement fauché du pied le bout caoutchouté de votre canne ? s’exclama Damien d’un air étonné.
– Oui, cher Monsieur, c’est pourquoi je suis tombé.
Damien ne sut que dire. Il ne comprenait pas sa perception si différente de ce qui s’était passé. Un même événement avec deux versions divergentes et un trouble curieux, une sorte de fente vide dans laquelle il se serait glissé par inadvertance. Il tenta d’expliquer cette sensation au vieil homme. L’œil de celui-ci s’éclaira. Il écouta les causes de l’incompréhension de Damien : la mauvaise perception sonore des pas, son regard vers la droite, le choc des corps et la chute du plus faible. Il avait compris.
07:10 Publié dans 43. Récits et nouvelles | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nouvelle, récit, rêve, réveil, couple, peur | Imprimer
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