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01/05/2015

Un couple insolite (3)

Ils se retrouvèrent chez eux vers 19 heures. Isabelle, arrivée la première, mit beaucoup de soin à préparer ces retrouvailles. Elle avait décidé de se battre pour que leur mariage ne pâtisse pas de cet événement. Elle prépara un apéritif avec des friandises et attendit, légèrement inquiète. Lorsque Damien introduisit sa clé dans la serrure, Isabelle secoua la tête, se massa le front et commanda son plus beau sourire.

– Bonjour mon chéri. Ta journée s’est-elle bien passée ?

Damien, lui, n’avait de cesse de revoir Isabelle pour la serrer dans ses bras. Mais dans les circonstances actuelles, il n’osait pas se rapprocher d’elle dans la crainte d’être déçu. Il commença par répondre en posant sa serviette sur une chaise, se tenant derrière comme en retrait.

– Pas bien, il faut le dire. Je n’ai cessé de penser à notre aventure et aux moyens d’y faire face. Et toi, comment s’est passée ta journée ?

– J’ai bien travaillé. J’ai téléphoné à Sylvie qui m’a donné l’adresse d’un professeur spécialiste du toucher à l’hôpital Saint Louis. Nous avons rendez-vous demain à 15 heures.

– Quelle bonne nouvelle, dit Damien. J’avoue ne pas comprendre ce qui nous arrive exactement. Je te vois, je t’entends, je sens même ton odeur si douce dans mes narines, mais je ne peux te toucher. C’est comme si tu n’étais pas là. Mes mains passent à travers toi sans même que je sente la moindre résistance. Je pourrai m’assoir sur ton siège, toi présente, comme si tu n’étais pas là ! Je ne connais plus la douceur de ta peau, la courbe de tes seins, et pourtant je sens la caresse de tes cheveux sur mon cou. C’est inexplicable et inextricable.  

Elle lui prit la main, la caressa, la porta à sa joue et ne put s’empêcher de laisser quelques larmes s’échapper de ses paupières. Il ne sentait rien. Ils tentèrent de regarder la télévision, assis côte à côte sur le canapé, chacun de son côté, comme deux célibataires. Mais aucun programme ne put retenir leur attention. L’agitation de ces gens sur l’écran n’avait plus de sens pour eux. Ils se couchèrent tôt et ne purent s’embrasser avant de fermer les yeux.

Le lendemain, après une matinée morne et un déjeuner pendant lequel ils ne se parlèrent pas, ils furent introduits dans le bureau du professeur Jean Sédoux, dermatologue, supposé spécialiste du toucher. Il soignait l’acné, l’eczéma, les mélanomes, les mycoses, le psoriasis, les allergies cutanées, les verrues, les angiomes, le lupus, la gale, les corps et durillons et bien d’autres maladies encore liées à l’enveloppe corporelle. Il avait l’assurance des grands professeurs de médecine, l’air gentil, mais sûr de lui, comme s’il savait d’avance ce que le patient a et comment le guérir.

N’ayant pas l’habitude de voir deux patients en même temps, il s’étonna tout d’abord de cette double présence.

– Alors, qui de vous deux est malade ?

Ils ne surent répondre. Certes, Damien semblait à l’origine du mal. Mais Isabelle souffrait aussi de ne pouvoir être touchée. Elle ne sentait rien lorsqu’il passait sa main au travers de son corps. Pourtant, elle n’était pas transparente, elle pouvait se toucher, pincer son bras, enfiler ses collants.

A ces premières explications, le professeur ne comprit rien. De quoi leur parlaient-ils ? Il sourit d’un air incrédule, hocha la tête et leur demanda de recommencer, l’un après l’autre. Damien raconta comment ils avaient constaté cette étrange maladie, sa peur de ne rien sentir dans le lit de la présence de l’autre alors qu’il la voyait. Isabelle détailla ses sensations et ses impressions, sans toutefois arriver à expliquer en quoi elle était atteinte par ce même mal. Elle finit par fondre en larmes sans que Damien puisse la prendre dans ses bras et la consoler.

Le professeur ne souriait plus. Il ne comprenait pas cette étrange maladie qui n’était probablement pas une maladie, mais qui n’était pas non plus d’ordre purement psychique puisqu’elle avait des manifestations très concrètes physiquement. Il demanda à Damien de passer derrière le paravent et de se déshabiller. Après un examen rapide de sa peau, il ne put que dire qu’il ne voyait rien à signaler. Il le frappa avec son marteau à réflexe. Rien à signaler non plus. Il lui demanda de le toucher et même de le pincer. Il ressentit aussitôt les doigts du patient, le pincement normal entre le pouce et l’index. Rien à signaler non plus. Il lui demanda de se rhabiller. Il était perplexe. Peut-être l’examen de sa femme lui apporterait quelques éléments de compréhension.

Il pria donc Isabelle de passe derrière le paravent et de ne garder que ses sous-vêtements. Il la fit s’étendre sur le divan médical et entreprit les mêmes examens que ceux qu’il avait pratiqués sur Damien. Le constat fut le même : rien à signaler. Il lui demanda de se rhabiller, se lava les mains pour se donner une contenance et revint s’assoir à son bureau. Il n’avait aucune idée de ce qu’il se passait. Le temps lui sembla arrêté. Sa tête n’arrivait plus à réfléchir. C’était un grand vide dans ses pensées de praticien qui fit monter en lui une telle transpiration qu’il dut sortir son mouchoir pour garder son sang-froid. Il leur demanda de l’excuser quelques instants et il sortit précipitamment de son cabinet. Ils se regardèrent en souriant. Le praticien était perdu.

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