Les valeurs (06/12/2016)
On n’a jamais autant parlé des valeurs que depuis qu’on ne sait plus ce que c’est. Tous s’en mêlent, à commencer par les politiques qui ne cessent de se justifier au nom des valeurs de la république ou de la démocratie. On s’échange les mots avec avidité, chacun étant considéré comme supérieur à l’autre. Mais ils sont devenus des mots creux, des étendards sans fondement, des fondements sans assise.
Alors qu’est-ce qu’une valeur ?
Le mot vient du latin « valor », dérivé de « valere », valoir, avoir de la valeur, et, primitivement, « être fort, puissant, vigoureux ». La valeur est ce que représente quelqu'un ou quelque chose, quantitativement, financièrement, qualitativement ou symboliquement. Mais cette signification s’est élargie. Parler de valeur, c’est poser le fondement de l’action et sa légitimité. Certains comportements valent plus que d’autres. Ils s’organisent autour des concepts de bon et de mal. La valeur est donc le fondement d’un jugement critique vis-à-vis de tel ou tel comportement et des motifs pour lesquels ce jugement est considéré comme définitif, ou presque, par chacun.
Se pose alors la question du bien et du mal et aussitôt s’établit une différence entre ce que, au fond de moi, j’appelle bien ou mal et ce que les autres considèrent comme bon ou mauvais pour eux-mêmes. On constate alors que ces notions tournent autour de la personne qui juge par elle-même de ce qui est bien ou mal pour elle-même et, dans le même temps, autour de la société qui édicte des règles de comportement qui doivent être valables pour tous et qui constituent des fondements de vie commune, ce que l’on appelle le bien commun. La valeur permet donc de justifier l’action, l’attitude, le comportement, et donc d’exercer un jugement à la fois sur telle ou telle personne et sur telle ou telle société et, plus largement, sur telle ou telle civilisation. Appelée également axiologie (théorie de la valeur), elle s’occupe de toutes les façons dont on peut prendre position pour ou contre une chose, ou dont on peut la soumettre à un jugement critique. Choisir une chose plutôt qu’une autre, c’est se déterminer pour ce que l’on choisit et contre ce que l’on rejette. Ainsi le problème des valeurs tient principalement à un choix personnel et à un choix de société qui peuvent s’opposer ou, au contraire, s’harmoniser.
En fait la notion de valeur est dualiste. Elle peut être subjective ou objective selon le regard qu’on lui porte et qui se différencie par l’être en tant qu’individu et la personne en tant que membre d’une société. Ainsi, Spinoza écrit : « Nous ne désirons pas les choses parce qu’elles sont bonnes, mais elles sont bonnes parce que nous les désirons » et Aristote prétend que : « Nous désirons une chose parce qu’elle nous semble bonne, plutôt qu’elle ne nous semble bonne parce que nous la désirons ». Dans le premier cas, la valeur est estimée ou désirée par le sujet, elle a un prix personnel créé par la conscience, donc intérieur, immanent et temporel. Dans le second cas, la valeur est digne en soi d’estime et de désir, elle s’impose à la conscience, donc extérieure, transcendante et intemporelle.
Maintenant parlons concrètement. C’est quoi ces valeurs dont on nous rebat les oreilles ?
On constate qu’il est difficile de les hiérarchiser et quelles se distinguent plutôt selon l’angle sous lequel on les regarde. On différencie ainsi des valeurs humanitaires (la dignité humaine, la justice, la solidarité, la responsabilité, la tolérance, le respect des différences, l’intégrité de la personne), qui mettent l’accent sur la personne, et des valeurs communautaires (le respect des civilisations et des cultures, l’histoire commune, le territoire commun, l’égalité des races et des ethnies), qui mettent l’accent sur la société. On distingue également des valeurs internationales (la notion de nation et de souveraineté, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes), des valeurs sociales et politiques (le droit, l’ordre, la justice, le progrès, la liberté, la démocratie, le pluralisme), des valeurs économiques (la propriété, le travail, l’échange des biens, la liberté d’entreprise). On constate également que ces notions peuvent se différencier dans leur acceptation. Ainsi la notion de justice variera selon le point de vue de celui qui l’utilise ou la subit, de même la notion du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Et cela est vrai pour chaque notion.
Alors y a-t-il des notions sur lesquelles tous peuvent s’accorder, des valeurs universelles ?
Oui et non. Oui, certaines valeurs éthiques, en particulier les cinq valeurs que l’individu comme la société reconnaissent, c’est-à-dire le bien, le bon, le vrai, le beau, le juste, peuvent être considérées comme universelles. Mais derrière ces mots qu’appelle-t-on réellement bien, bon, vrai, beau, juste ? Tous y mettront des acceptions différentes qui les opposeront dans l’action comme dans le concept lui-même de chacune d’entre elles.
Est-ce à dire qu’il n’y a pas de valeurs ou qu’elles ne servent à rien ou qu’à opposer les hommes plutôt qu’à les rassembler ?
Sûrement pas ! Les valeurs sont nécessaires et justifient chaque homme comme chaque société. Elles sont donc un bien commun inaltérable qui caractérise l’humanité, sans que l’on puisse cependant les énoncer comme inaltérables et effectives pour tous, même les valeurs éthiques.
Alors plutôt que de parler et de s’échanger des valeurs considérées comme supérieures à celles des autres, il conviendrait plutôt de faire preuve de juste milieu sans vouloir placer l’une ou l’autre valeur en prééminence par rapport aux autres, telle que la notion d’égalité par rapport à la notion de liberté ou la notion de travail par rapport à la notion de propriété. De même la même notion peut avoir une valeur véritablement différente selon ce sur quoi elle s'applique. La valeur, sous prétexte qu'elle est mise en avant, ne peut excuser tout. Ainsi de la liberté de faire ce que l'on veut de son corps, liberté de se droguer ou de se suicider. La valeur ne peut justifier un droit, en opposition à une autre valeur. Toute valeur a ses limites et, encore une fois, le juste milieu est la meilleure norme.
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