Aral, roman de Cécile Ladjali (01/11/2012)

C’est un monde mouvant, tantôt effrayant, tantôt attendrissant, toujours chaud, plein de frémissement, comme ces vibrations qu’Alexeï, musicien sourd, entend.12-11-01 Aral-C Ladjali.jpg Il se marie avec son amie d’enfance, Zena. Ils ont grandi à Nadezhda, au bord de la mer d’Aral qui s’est retirée. Il n’y reste plus que le sable, la pollution et la misère. Mais ce monde est le leur et ils y trouvent le bonheur, chaud, envahissant, comme leurs corps qui se découvrent et se parlent en caresses.

Mais un jour, après quelques années heureuses, Zena part travailler en France. Alexeï reste seul avec sa musique. Il prépare un opéra, il joue pour les orphelins de Nadezhda et découvre qu’il sort de cet endroit où les enfants n’ont pas d’histoire. Il rencontre Nulufar, jeune prostituée, belle comme un démon. Il s’installe chez elle, sans cependant la posséder. Mais elle boit l’eau de la ville et est atteinte d’une maladie qui la fait régresser. Elle est comme une enfant de dix ans et il assume cette paternité. Sa vie s’enfonce dans la boue laissée par la mer, près des bateaux gisant sur le flanc, rouillés. Un jour, pour la sainte Rita, Alexeï voit l’eau remonter. Il remarque une fille qui s’installe à côté de lui, sur sa serviette de bain. Zena se lève, entre dans l’eau, il la rejoint. Elle enlève son maillot pour être douce et nue dans ses bras. Dans l’eau elle boit mes larmes. Dans l’eau je bois ses larmes. La mer. Nos visages. Ils rient ensemble et le sel mord les minuscules égratignures que notre histoire a laissées sur nos corps qui se serrent. Une eau joyeuse remplit la vasque ouverte de nos deux vies.

Quelques très belles pages sur la musique : Du désir de musique, je dirai qu’il est très simple et demande à être immédiatement satisfait. Il vient comme la faim, la soif, l’excitation amoureuse. (…)

Moi j’entends la musique partout : dans le sable, dans l’eau, dans les arbres. Le long des falaises de craie, parmi les jupes des fillettes qui jouent à la marelle, ou sur la frimousse crasseuse des bambins qui volent des oranges au marché Saint-Hilarion. En fait je n’invente rien. Jamais. Je restitue. Mais ce que les gens ont du mal à concevoir c’est que ma perception des choses se traduise musicalement, alors que je suis sourd. Ils sont idiots : un artiste choisira toujours le mode d’expression qui annulera sa douleur. (…)

La musique est un souvenir. Une tension en direction de ce qui fut et qu’on rappelle. Les vagues. Les ondes. Le ressac. Voilà à quoi ressemble la musique. Elle et un fleuve Alphée qui retourne au mouvement qui l’a engendré. Elle est un antipoison à la disparition. Je n’ai jamais composé avec du temps mais avec de la durée. Avec des lignes brisées, dans des intervalles, au creux des interstices que le laisse la mémoire ou me confiait le hasard. Ma musique est une sorte d’anomalie.

 

La beauté du livre tient principalement à l’écriture de Cécile Ladjali. Déliée, sensuelle par l’évocation des perceptions autres que celles de l’ouïe, faite de phrases courtes, désossées. Elle nous donne l’envie de lire ses autres livres.

 

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