Le Zubial, roman d’Alexandre Jardin (Gallimard, 1997) (03/05/2012)
Le Zubial n’est ni un oiseau, ni même un animal, c’est un humain, le père du narrateur. Il est mort à quarante-six ans, mais son souvenir est si vivant qu’il transcende la tristesse et fait régner une joie intérieure à défaut des farces extérieures. La joie communicative qui émanait du Zubial était faite d’un étrange parfum d’irréalité, lequel tenait à la façon de tout revisiter à l’aune de ses fantasmes et son goût pour les situations invraisemblables.
Le thème principal du livre : le Zubial, bien sûr. Imaginez que vous êtes lui. Imaginez que vous vous donnez soudain le droit d’être furieusement heureux. Oui, imaginez une seconde que vous n’êtes plus l’otage de vos peurs, que vous acceptez les vertiges de vos contradictions… Imaginez que vous êtes résolument libre, que vous ayez rompu avec le rôle asphyxiant que vous croyez devoir vous imposer en société. Vous avez quitté toute crainte d’être jugé… Imaginez que la traversée de vos gouffres ne vous inspire plus que de la joie.
Le deuxième thème : les femmes, toutes les femmes, extasiées, envoûtées, amoureuses, tant, qu’elles commémorent une fois par an sa mémoire en l’église Sainte Clothilde. A l’insu de leur mari ou amant, quittant leurs jalousies d’antan, elles se réunissaient en secret depuis seize ans pour le remercier d’avoir existé, ou du moins poursuivre le dialogue qu’elles avaient entamé avec ce grand vivant quand il l’était encore.
C’est un livre d’anecdotes, parfois nostalgiques, celui d’un encore enfant qui se réjouissait, s’envolait aux côtés d’un père qui était bien plus qu’un père, un clown, un ange et un diable. Car je savais que ce récit ne serait pas un recueil de souvenirs, mais un livre de retrouvailles. Ce n’est pas une nuance, c’est une différence qui me remplit de vie à mesure que j’écris ces lignes. Et s’il m’arrive de pleurer en l’écrivant, ce sera de joie. Mon père est mort, vive le Zubial !
C’est une France espiègle, drôle, ludique, abracadabrantesque, que nous décrit la plume d’Alexandre Jardin, laissant trainer un brin de romantisme et de mélancolie avant de rebondir dans une nouvelle aventure tout aussi folle. Etre Jardin, c’est être fou jusqu’à la ruine. Je demandais à mon père ce qu’allait coûter notre périple. Il me répondis que cela n’avait pas d’importance, ou plutôt qu’il était important que j’apprenne à consacrer l’essentiel de mes revenus ou ceux des autres pour conquérir les femmes que j’aimais ; le reste ne pouvait être qu’un mauvais placement, immoral de surcroît. Telles étaient les règles du Zubial, toujours à cheval sur certains principes. (…) Chez les Jardin, devenir soi passe par d’exténuantes exigences. Ce que nous sommes ne nous suffit pas, jamais. Vivre signifie enfourcher un destin, aimer est pour nous synonyme de se projeter dans des amours vertigineux. Le normal est notre hantise, l’exorbitant notre mesure et notre ridicule vanité.
Dernière pirouette du narrateur : Je crois tenir de lui le sentiment que mes volontés, même invalidées par les contingences, finiront toujours par dessiner les contours du réel. Fondamentalement pessimistes l’un et l’autre, nous restons convaincus que le bonheur est la seule issue, que le mal est un affreux malentendu et que les désirs irrépressibles peuvent tout dynamiser.
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