Musique et émotion (03/02/2011)

 

Il n’y a pas l’émotion de la musique. Il y a une émotion bien particulière à chaque morceau de musique. Et encore, elle ne dépend même pas de la musique, mais aussi de la disposition de l’esprit et du corps, de la vibration de l’air, de l’état du monde et des choses et de leur agencement par rapport à nous.

 

On écoute toujours une musique pour la première fois, car jamais on ne ressent la même émotion à son audition et jamais on ne la perçoit de la même manière. En musique, l’habitude doit être bannie. Trop souvent, on aime une musique par habitude. Mais alors ce n’est plus l’émotion de la musique qui nous agite, mais celle du souvenir d’une musique. On aime telle sonate de Beethoven par ce qu’elle nous rappelle une soirée d’hiver au coin du feu où l’on a rêvé en l’écoutant.

 

Il ne faut pas chercher dans la musique la quiétude de l’esprit et la mélancolie de l’âme, mais la passion de chacun des instants où l’on perçoit la note pure, idéale, « la note clé ». Il faut apprendre à écarter le voile de la mélodie qui cache la nuit étoilée de la musique, l’espace doré de chaque note, la constellation d’un accord.

La littérature crée l’émotion de l’imagination, la poésie creuse plus profondément en faisant goûter une émotion de l’image pure, mais seule la musique crée l’émotion artistique pure. Cette émotion véritable, on ne l’éprouve pas à l’audition totale d’un morceau, elle demande une attention trop soutenue surhumaine, on l’éprouve à la perception plus dense d’un accord, d’une reprise, d’un jeu nouveau. On s’émeut à l’occasion d’une nouveauté, d’une coupure, d’une différence inattendue. Alors l’émotion du morceau se cristallise comme les ramures d’une étoile de givre sur cette impulsion.

 

C’est peut-être en cela que la musique contemporaine est plus propre à faire éprouver l’émotion de la musique, car elle ne prête pas, ou moins (parce qu’elle la rompt) à la rêverie qui engourdit la perception de nos sens. Par sa rupture, elle dissèque l’émotion dans l’espace et le temps, l’isolant à chaque seconde de l’émotion dernière en lui conservant son intensité.

 

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