Locédia, éphémère (27) (08/10/2019)

Ce matin, Locédia, je me suis enfoncé dans la brume. Plus encore que les autres jours ton souvenir s'appesantissait en moi et me forçait à une constante attention, des trainées lumineuses qui flottaient en troupeaux épars. C'était à l'heure où les prés sont encore bleuis par le souvenir de la nuit, avant que le véritable jour leur redonne leur verdure. Je regardais les vaches noircies par le soleil de l'après-midi. Pourrais-je comme elles me coucher dans l'herbe et attendre patiemment que l'ombre de la lune s'oppose à celle du soleil ?

Le soir, souviens-toi, je cueillais tes cheveux sur l'herbe. Tu riais de ce jeu et remuais la tête pour me voir courir d'une touffe à l'autre sans parvenir à cueillir celle sur laquelle ils se posaient. Je me dépensais en efforts inutiles dont tu te moquais. Enfin tu me laissais, épuisé, cueillir une touffe de graminée. Solennellement, j'allais la repiquer à l'ombre de la lune. Je devais chercher une motte de terre plus fragile que les autres ou le cratère arrondi d'une taupinière. Alors nous regardions se noyer le disque rouge du soleil entre les vagues figées de la forêt. Tu prédisais pour le lendemain une mer houleuse selon la frénésie de l'écume à la cime des arbres. J'inscrivais sur le journal de bord ces réflexions ainsi que le nombre de rayons que portait la lune au même instant. Le silence régnait dans la clarté lunaire. Je regardais tes lèvres closes. Tu écoutais monter peu à peu les bruits inaccessibles au jour. Nous avions appris à reconnaitre le murmure du réveil des limaces, le bâillement fatigué des grenouilles, le grincement de dents des rats contre les brins de paille. Parfois un bruit nouveau troublait notre silence et tu m'interrogeais du regard pour en connaitre l'origine. L'ombre de ton corps s'amincissait peu à peu sous la lune et m'offrait une plus complète connaissance de toi.

Mais déjà tu te levais en souriant et m'entrainais avant que je ne puisse m'emparer de ta véritable forme sur l'herbe tiède. Je ne devais, disais-tu, arriver que lentement à ta connaissance et tu t'efforçais de te soustraire à mon avidité, n’accordant qu'avec parcimonie chaque morceau du puzzle que je cherchais à reconstituer.

_ A quoi te servira la connaissance fugitive de mon intimité, m'avais-tu dit, si c'est pour la perdre aussitôt. Tu n'auras qu'un souvenir déformé de moi-même après ton assouvissement.

Que pouvais-je répondre à tes raisonnements. J'avais d'abord cherché à lutter contre ces propos relatifs à notre entente.

_ Peut-être as-tu raison, disais-je, mais nous pourrions aussi aller plus vite si tu consentais à t'abandonner à tes sentiments.

Tu trouvais alors de nouvelles raisons et je devais m'incliner bien qu'il subsistait en moi un sentiment de malaise fait de regret et d'insatisfaction.

07:38 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : livre, roman, amour, recherche de soi |  Imprimer