Locédia, éphémère (21) (11/09/2019)
Un jour de pluie, nous sortîmes pour plonger dans la foule. Incapables de parler, indifférents l'un à l'autre, nous poursuivions un monde d'images et de sons qui continuait à frémir en nous. Je laissais glisser ma main sur la file de voitures rangées le long du trottoir, semblables à de monstrueuses dépouilles temporaires. Elle s'arrêta à la porte du cinésens, troublée par la multitude tournoyante des lumières de la rue, les deux bras le long du corps, la tête légèrement redressée, arrogante.
J'avais parfois la pénible sensation que tu m'oubliais complètement, que tu te désintéressais de moi pour reporter sur d'autres le pouvoir de ton charme. Tu regardais effrontément les hommes comme si tu étais prête à te donner à eux, comme s'ils n'avaient eu qu'à t’enlacer par la taille pour te courber vers le sol et te prendre là, au milieu de la foule, ignorante de ses regards, comblée de plaisir. Le visage tendu par la contraction légère de tes paupières, tu suivais de ton corps pivotant sur une jambe la lente trajectoire d'un homme jusqu'à ce qu'il se prît au jeu sans oser t'aborder. Mais si un des passants portait le premier vers ton corps une lueur de désir, tu passais sans un regard pour lui.
Je t'attendais la main sur une aile de voiture, appuyé sur un pied, portant mon attention sur le cercle chromé de la roue où se chevauchait une multitude de chaussures d'hommes et de femmes. Je regardais le jeu de leur image sur le reflet bombé, une image qui grossissait en s'accélérant, puis sa perdait derrière la véritable courbure de l'enjoliveur en ralentissant sa course. Un ruisseau lumineux courrait le long du trottoir entourant d'un flot symétrique le bandage caoutchouté du pneu. J’allais y plonger la main pour sentir glisser sur les doigts les étoiles qui flottaient à la surface de l'eau, mais tu t'étais laissée immerger dans la foule et avais disparu. Je t'ai cherché parmi la multitude, pressant son mouvement, épiant chaque visage jusqu'à n'y voir que ton visage qui devenait étranger à mon approche.
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