Ephistole Tecque (2) (10/09/2018)

Il est cependant peu probable, je n’irai pas jusqu’à dire impossible, que vous ayez eu une véritable conversation avec lui, une conversation mettant en jeu de grandes idées, telle qu’une discussion sur la solitude de l’homme ou la nécessité des rencontres sociales. Ephistole n’était pas un grand parleur. Il n’aimait pas vraiment parler, sauf de son travail qui paraissait l’intéresser jusqu’à ces derniers temps. Fréquemment, et peut-être était-ce pour cela que vous ne l’avez pas rencontré si vous avez l’habitude de sortir à l’heure de fermeture des bureaux, il restait assez tard à l’usine pour parfaire la mise au point d’un nouveau projet ou pour exploiter une idée qui lui était venue avant la fin du travail. Il ne retenait personne, pas même sa secrétaire. Il préférait de beaucoup l’immobilité et le silence du bureau après les heures de travail aux moments agités qui en précédaient la fin. Renvoyant donc Sigalène, sa secrétaire, il s’installait à son bureau de bois blanc sur lequel étaient posés ses instruments de travail : quelques feuilles de papier, des classeurs contenant les projets en voie d’achèvement et plusieurs revues concernant de récentes découvertes pouvant l’aider dans ses recherches. Il s’asseyait et restait là plusieurs heures, le front soutenu par la paume tiède d’une de ses mains tandis que l’autre couvrait la page blanche de mots et de chiffres. Puis il enfilait son imperméable beige et refermait la porte derrière lui.

Certains jours où une nouvelle idée concernant les projets entassés sur son bureau n’avait pu éclairer l’après-midi, il partait en même temps que le reste des employés de l’usine. Vous l’avez peut-être vu sortir un jour par la grande porte métallique enfoncée dans le corps du bâtiment principal, perdu dans la foule des employés qui le bousculaient pour attraper le premier autobus qui passerait à proximité. Importuné, Ephistole prenait le chemin des écoliers. Il remontait lentement le large boulevard bordé d’arbres, s’arrêtant en face de quelques boutiques plus alléchantes que les autres, s’arrêtant aussi dans un bar quand il faisait plus froid pour commander le café qui lui permettrait de continuer plus agréablement cette promenade vers son domicile.

07:01 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : nouvelle, récit, vie, vacuité, mal-être |  Imprimer