Bonjour, mot de passe ou de bienvenue ? (28/12/2011)
De nombreuses personnes n’ont plus la volonté, le courage, la joie de dire « bonjour Monsieur » ou « bonjour Madame » ou « bonjour Noémie ». Ils se contentent de donner un « bonjour » qui s’adresse à tous, c’est-à-dire à personne. On se salue sans reconnaissance de l’autre, comme si sa personne était évacuée au profit d’un automatisme social, voire politique. Mais ce salut, il ne faut pas l’omettre. Ne pas dire bonjour, c’est faire preuve d’incivilité, de manque de savoir vivre en communauté, quasiment d’indigence morale (et non pas esthétique). Et on vous le fait savoir. Cela s’affiche dans le métro, cela s’affiche dans les administrations, cela se proclame dans les magasins, certaines vendeuses déficientes vous répétant dix fois bonjour plutôt que de vous demander quoi que ce soit si vous omettez le mot de passe sacro-saint de la politesse républicaine. Vous pourrez vous adresser à elle avec une courtoisie royale, elle vous considérera comme le dernier des paltoquets et vous demandera d’entrer le mot de passe dans son ordinateur personnel, sans quoi il ne peut y avoir démarrage de la machine commerciale.
Mais il y a aussi différentes manières de proclamer ce mot de passe.
« Bonjour ! » vous contraint à remarquer la personne qui le profère d’une voix claire, comme s’il semblait dire « Evident, mon cher Watson ! ».
« Bonjour... » montre l’inexpérience d’une vraie salutation ou le regret de n’oser dire « bonjour untel ».
« Bonjour ? », avec une interrogation dans la voix, semble attendre impérativement qu’on lui réponde le même mot de passe, comme un jeu de reconnaissance d’espions dans un pays ennemi.
De même un bonjour où l’on appuie sur le jour plutôt que sur le bon laisse supposer un échange difficile et donc une mauvaise journée si l’on n’y répond pas.
Il y a aussi le bonjour des fonctionnaires d’organismes publics à un usager et non à un client : usez, mais n’en abusez pas.
Toute lettre doit également commencer par bonjour-virgule et le début du texte. C’est la lettre type distribuée par l’Internet à l’usage des vrais clients, ceux qui payent quoiqu’il arrive. Cela signifie dans quatre vingt dix neuf pour cent des cas que l’entreprise regrette, mais qu’elle n’est pas en mesure de répondre à votre demande légitime, car elle n’est pas incluse dans le contrat (voir le paragraphe 605 bis-§3, en bas de l’avant dernière page, que vous ne lisez même pas avec une loupe).
Prononcer autre chose que bonjour en signe de bienvenue signifie, pour les fiers partisans d’un civisme légalisé, ne rien dire, donc être incivique. Vous ne pouvez plus donner de salutation (trop risible), salut (trop intime), hi (trop américain), hello (trop apostrophant). Quant à commencer par : « S’il vous plaît pourriez-vous m’indiquer… », c’est tellement ringard que seuls quelques croulants osent encore s’afficher avec de telles paroles et ils semblent tout droit sortis d’un théâtre du XVIIIème siècle.
L’uniformité du bonjour a l’avantage de mettre tout le monde sur un pied d’égalité et même d’une certaine fraternité. Mais quel manque de liberté. Pourtant légaliser l’obligation du bonjour sous peine d’amende pourrait bien être une préoccupation de nos prochains élus républicains, qui se rejoindraient, de droite et de gauche, dans l’absurdité de la civilité transformée en civisme devenu règle juridique, à l’image de la loi pénalisant la négation du génocide arménien.
Mais où est donc passée la simple politesse où la manière de s’exprimer est plus importante que l’obligation de dire ou de ne pas dire ?
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