L'étrange bataille de San Pedro de Atacama (31) (25/07/2020)
En réalité, ils étaient effroyablement inquiets. Sans même en avoir encore parlé, aucun des deux ne voyait ce qu’ils pourraient faire pour contrer cette machination. Emma s’alarmait pour ses filles qui n’avaient pas vraiment semblé comprendre l’enjeu de ce qu’avait avancé le chilien. Elles partageaient un certain sentiment pour cet homme qui les troublait, voire les envoûtait. Mais de là à se jeter dans ses bras sans réfléchir, elle n’y croyait pas. En réalité, elle se refusait à croire qu’une de ses filles était prête à quitter le cocon familial pour une aventure, car ce ne pouvait être autre chose, avec un homme qu’elle n’avait jamais vu il y a encore huit jours et qu’elles ne connaissaient nullement de vive voix. Emma n’envisageait pas un instant ce projet d’un mariage qui lui paraissait un cauchemar heureusement irréalisable. Elle n’envisageait pas non plus l’autre possibilité, à savoir le passage au fil de l’épée des habitants du village. Un cauchemar encore plus difficile à concevoir. Et pourtant, entre ces deux possibilités, le blanc, le vide, le désespoir. Quant au capitaine, il était plus inquiet encore, car il portait la responsabilité de la défense du village et ne pouvait concevoir un instant de l’abandonner, de la même manière qu’il ne pouvait examiner avec sérieux un mariage tel que le concevait les Chiliens. Quelle solution lui restait-il ? Certes, il pouvait estimer les chances de la garnison d’assumer sa défense seule. Il était prêt à se battre jusqu’au bout et à mourir pour protéger sa famille et les villageois. Mais, cela suffirait-il ? Il lui semblait bien que non. Il pouvait également tenter une sortie avec l’ensemble de la garnison pour chercher du secours, laissant les villageois ouvrir les portes et accueillir les Chiliens en leur offrant ce qu’ils possédaient. Mais il n’était pas sûr que ceux-ci leur laisseraient la vie sauve. Il avait du mal à approfondir un tel plan, en raison de ce que sa femme et ses filles deviendraient si les Chiliens entraient dans la place. L’homme avait bien dit qu’il s’agissait d’un marché. Il était évident que si la partie bolivienne contrevenait à une des règles du marché ce serait un massacre. Cependant, l’homme avait également énoncé, en premier lieu, que les troupes chiliennes passeraient au fil de l’épée tous ceux qui s’opposeraient à leur assaut. Peut-être accepteraient-ils que les villageois leur ouvrent les portes sans opposition ? Mais pouvait-il courir le risque d’une mauvaise interprétation du marché ? Et, dans tous les cas, il aurait failli à sa mission : tenir la place forte de San Pedro qui appartiendrait alors aux Chiliens. Il avait beau essayer depuis le moment où l’homme avait énoncé son marché, de trouver une solution, il ne voyait pas ce qu’il pouvait faire. Alexandro et Emma se couchèrent sans avoir prononcé un seul mot, se tenant fortement serrés dans les bras de l’autre, s’embrassant sur la bouche pour éviter d’avoir à se parler, essuyant de leurs lèvres les larmes qui coulaient de leurs yeux.
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