L'étrange bataille de San Pedro de Atacama (22) (15/06/2020)

Le lendemain, le capitaine et sa famille se promenaient dans le village. Ils se montraient pour rassurer la population. Les filles avaient maintenant connaissance de la situation et s’intéressaient à l’inconnu, se demandant comment il était, ce qu’il disait, ce qu’il aimait faire. Quel mystère ! Mais ces pensées ne transparaissaient pas derrière l’apparente tranquillité des trois sœurs. Elles se tenaient par le bras, réjouies, rieuses, loin de toutes les pensées des grandes personnes, mais déjà intéressées par un monde nouveau dans lequel les jeux étaient révolus. Elles devisaient toutes les trois, marchant à une distance suffisante de leurs parents pour que ceux-ci ne sachent pas de quoi elles parlaient.

–  Il paraît qu’il est blond, qu’il a de grands yeux noirs et qu’il est fort comme un éléphant, dit Libertad qui, étant la plus jeune, commençait à rêver la nuit d’amour chaste et de bague au doigt. Les deux autres, plus avancées, s’amusaient de leur sœur rêveuse et béatifiant. Elles n’exprimaient pas leurs pensées sur les hommes, mais l’on voyait à leur regard l’intérêt qu’elles y portaient, comme toute jeune fille équilibrée et désireuse de connaître la vie. Les parents marchant devant elles, ne se doutaient pas un instant de ces sentiments cachés, voire étouffés.

–  Quelle idée ! L’aurais-tu vu une fois ?

–  Non, tu le sais bien, répondit Libertad à Ernestina.

Elles poursuivirent leur route vers la porte du village et suivirent les parents sur le chemin bordant les remparts, lorsqu’un brouhaha se fit entendre. On entendit des cris venant de la tour de garde surplombant la porte d’entrée ; « Il est revenu, il est revenu ! ». Alexandro redevint instantanément le capitaine et courût vers le mur d’enceinte qu’il escalada avec souplesse. Sa femme et ses filles le suivirent, si bien que l’ensemble de la famille se trouva sur les remparts, avec leurs ombrelles et leurs atours, sous le regard de l’homme qui faisait mine de ne rien voir. Il se tenait debout, les bras ouverts, les paumes tournées vers le ciel, les yeux mi-clos, comme en adoration devant la création, statue de schiste immobile, impénétrable. En réalité, il fixait les trois sœurs et se demandait laquelle était la plus jolie. L’ainée, Abigail, lui semblait la plus femme, déjà sérieuse comme il convient à une jeune fille en âge de se marier, mais, dans le même temps, rieuse, prête à toutes les farces, comme une gamine qui se demande pourquoi elle fait cela. Elle était blonde, les cheveux noués par un ruban en queue de cheval. Une petite fossette se distinguait sur sa joue gauche et lui donnait un air mutin qui lui convenait. Elle avait l’œil vif, espiègle, mais la sûreté de gestes d’un adulte et sa retenue. La seconde, Ernestina, était châtain clair, également les yeux noirs. C’était une très jeune fille, mais l’on devinait déjà ce qu’elle serait dans quelques années, secrète, belle, un rien non conformiste.

07:06 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bolivie, guerre, chili |  Imprimer