L'étrange bataille de San Pedro de Atacama (17) (18/05/2020)

Deux heures plus tard, l’homme fut introduit dans le bureau du capitaine. Il était grand, vigoureux, assez beau malgré son uniforme de simple soldat. Il salua d’un air vif, mais sans flagornerie et se mit au repos sans attendre qu’on le lui dise, ce que nota le capitaine.

– Dites-moi, je suis intrigué par cet homme que vous avez vu tout à l’heure. Que pensez-vous qu’il venait faire ?

– Il ne semblait pas pourvu d’une mission particulière. Il était comme en promenade et il regardait le village comme un vacancier au bord de la côte regarde la mer. Ce qui est curieux, ce sont les jumelles dont il disposait. Il semblait les avoir amenées pour cela, observer la prise d’armes. Je ne peux rien dire de plus, je n’ai pas moi-même de jumelles et il était trop loin pour que je ne puisse en savoir plus.

– Dites-moi, il paraît que vous êtes chilien et que vous avez été fait prisonnier il y a deux ans. Pourquoi avez-vous choisi de servir la Bolivie ?

– C’est très simple, mon Capitaine. C’était cela ou la mort. Je n’ai comme vous qu’une vie et je tiens à la vivre jusqu’au bout, même si elle est bien différente de ce que j’avais rêvé.

– Ah oui. Qu’aviez-vous rêvé ?

– Étant d’une famille d’intellectuels, je me suis toujours passionné pour le dessin et la peinture. Mais j’ai dû faire mon service militaire. Les connaissances de ma famille et mes résultats scolaires me permirent de faire celui-ci comme officier. J’avoue avoir pris goût à la vie militaire. J’aime particulièrement les nuits de veille, seul, face à un ennemi qui peut surgir de n’importe où. Cela me permet de méditer et de m’ouvrir l’esprit à plus large que mon sort. Parfois, je suis heureux, d’une joie pleine, sans besoin de support comme les souvenirs ou les espoirs. C’est un bonheur entier, irréel et pourtant bien présent. Alors la vie devient un rêve fait de beauté indescriptible.

Le capitaine fut particulièrement surpris par ces paroles du chilien qui semblait dites en toute franchise, sans flagornerie. Il regarda dans les yeux l’homme et y lut l’honnête homme. Il se leva, sourit et lui tendit la main.

– Je vous remercie pour votre franchise et suis heureux de vous avoir parmi nous. Vous pouvez disposer.

L’homme salua, fit demi-tour et sortit. Le capitaine resta un moment songeur, les yeux fixés sur la fenêtre, regardant le renégat chilien s’éloigner. Son impression était floue. L’homme était sympathique, ouvert, sûr de lui, artiste même, mais policé. Cependant, quelque chose le laissait perplexe. Sans doute son accent, différent, plus rapide, plus appuyé, séparant les mots comme un lettré, montrant par là sa différence. Bah, il verrait bien, au fil des jours !

01:50 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : bolivie, chili, désert, guerre |  Imprimer