L'étrange bataille de San Pedro de Atacama (8) (04/04/2020)

Celles-ci se sentaient bien dans leur peau. Joyeuses, guillerettes, parfois malicieuses, attendant tout de la vie, prêtes à la manger à pleines dents. Elles n’avaient pas rechignées lorsqu’ils avaient fallu partir subitement de leur dernière garnison. Certes, elles regrettaient leurs camarades, leur maison et surtout une vraie ville pourvue de nombreux habitants. Mais elles avaient l’habitude de changer de résidence pour des endroits inconnus et plutôt que de regretter le passé, elles se tournaient vers l’avenir : qu’allons-nous trouver à San Pedro ? Y aura-t-il des garçons intéressants ? Aurons-nous chacune notre chambre ? Comment allons-nous occuper nos journées ? Bref, toutes les questions que se posent des jeunes filles lorsqu’elles arrivent en un lieu nouveau. Alexandro se félicitait de sa famille qui lui donnait plus que des satisfactions, un bonheur intense. Aussi s’était-il juré de prendre soin de sa femme et de ses filles, de ne rien risquer qui puisse les mettre en danger. Mais ces réflexions ne sont plus de mise. Ils étaient là, à la porte de leur nouvelle garnison, et ils devaient faire bonne figure.

 Entretemps, le lieutenant major, Don Domingo Carrienga, avait rassemblé une section, l’avait fait mettre en grand uniforme et l’avait fait rassembler, aux ordres du chef de section, sur deux rangs de part et d’autre de la lourde porte d’entrée. De même, les notables avaient eu le temps de revêtir leur habit de cérémonie et de se rassembler au-delà de la section. Il y avait là le maire, Rodrigo Podeglia, un homme replet, vêtu d’une redingote gris foncé, coiffé d’un semblant de haut de forme, satisfait de se montrer sous son meilleur jour ; le juge de paix, fonction plus honorifique que réelle, car il ne s’agissait que d’un bourg d’environ 2000 habitants, qui portait le bas de sa robe sous son bras avec une dignité assurée ; enfin un tout jeune commissaire de police sortant de l’école, la tête étonnée, surmontée de cheveux blonds, donc très remarquable. Les rares propriétaires terriens les entouraient, certains encore dans leurs vêtements de travail, d’autres ayant eu le temps de revêtir leur poncho en laine de mouton et de se coiffer de leur chapeau feutré. Enfin, la population se pressait derrière eux, chuchotant à voix basse, le chapeau à la main, à la fois réjouie et inquiète. Les femmes, enveloppées pour la plupart de jupes rouges jusqu’aux chevilles, se tenaient légèrement en retrait, certaines portant leur bébé, d’autres des besaces en laine, emplies d’objets. Seuls les soldats qui montaient la garde regardaient au loin, selon les consignes données par leur chef de section.

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