Le miroir 9 (29/10/2015)

Un jour, au cours de nos pérégrinations dans la vieille ville, nous aperçûmes le piège idéal, un recoin garni de miroir, à gauche, à droite et devant. Il ne pourrait s’échapper. Nous fîmes une répétition. Je m’imaginais sortant mon pistolet, le tirant sans qu’il puisse fuir par devant. Derrière Artémise veillait et lui obstruait la sortie. Il était fait comme un rat. Mais rien ne se manifesta ce jour-là. Mon double était bien sagement à ma hauteur, reproduisant mes gestes avec une application sans pareille. Impossible de le prendre en défaut. Se doutait-il de quelque chose ? Je fis part de cette hypothèse à Artémise. Elle me regarda, hocha la tête, puis me dit :

– Tout dépend de la façon dont se passe le dédoublement entre votre propre personne et votre réel double ou celui qui cherche l’indépendance. Si le premier n’est qu’un simple reflet, il ne peut se douter de quelque chose. Inversement, s’il est déjà ce double maudit qui cache si bien son jeu, nous sommes grillés et il ne se passera rien. Nous avons une chance sur deux. Au fait, comment se sont passées les premières manifestations d’indépendance ?– D’une manière très imperceptible. Dans la salle de bain. Il m’a fait un signe que j’ai mis du temps à comprendre comme étant un fait volontaire. J’ai néanmoins relevé, plus tard, une chose étrange. Nu, il n’y a plus de double. Il disparaît.

– Mais ce n’est pas possible ! Pourquoi vous n’auriez pas de double dans la glace parce que vous êtes nu. Non, c’est impossible !

– Mais je vous l’assure. J’ai essayé une deuxième fois, il s’est passé la même chose. Je ne me vois pas dans la glace. Je passe incognito sans que personne ne me remarque.

– Mais vous êtes cependant là réellement, en chair et en os, même nu comme un animal.

– Merci pour l’animal que je ne suis pas, m’exclamai-je.

– Ne vous fâchez pas, gardez votre humour. Nous cherchons de toutes parts des échappatoires possibles pour faire face au monstre qu’est votre double. Cela vaut bien quelque dérogations au savoir vivre.

Je ne dis rien, un peu confus. Mais elle rit d’un tel bon cœur que je ne pus que rire de même.

– Dans tous les cas, je ne vous crois pas à moins de le voir de mes propres yeux.

– Mais je ne vais tout de même pas me mettre nu devant vous pour vous montrer que je vous dis la vérité.

– Qui exprime la vérité ne recule devant rien pour la faire reconnaître.

C’est ainsi que je dus passer dans la salle de bain, me déshabiller, l’appeler nu comme un ver à moitié caché dans le placard et lui expliquer où elle devait regarder. Mais comme elle ne voyait rien, elle se tourna vers moi pour me faire part de son incompréhension, ne voulant sans doute pas me croire. C’est ainsi que je me retrouvai nu devant elle, me protégeant de mes mains croisées sur mon entrejambe. Elle sourit du coin des lèvres, l’air de rien, mais l’œil vif.

– Effectivement, je ne vous vois pas dans la glace. Mais c’est parce que vous êtes caché dans ce placard. Sortez et vous allez apparaître, j’en suis sûr.

Faisant un effort sur mon moi-même pour surmonter ma pudeur, j’avançai doucement dans la lumière. Rien en face, pas la moindre ombre dans le miroir. Artémise était suffoquée. Elle en oublia de regarder ma vraie personne, protégeant ainsi mon intimité.

–  Vous aviez raison, concéda-t-elle. Je n’en crois pas mes yeux ! Mais peut-être pourrait-on se servir de cet avantage pour déjouer votre double ? Comment, je ne sais pas pour l’instant. Mais cela vaut la peine de chercher. Au fait, vous pourriez peut-être vous rhabiller, finit-elle en riant.

–  Le mieux serait probablement que vous sortiez. Ce serait plus facile.

Elle sortit dignement, amusée de ma confusion.

07:22 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : récit, nouvelle, insolite, symétrie |  Imprimer